Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

samedi 28 juillet 2018

Prophétie désastre

LES CONSULTATIONS DE PATYJI

C'est par une après-midi de canicule que l'homme pousse la porte de l'échoppe où Patyji donne ses consultations. Il n'a pas pris rendez-vous. Par chance et en raison de la chaleur, la salle d'attente est vide et Patyji le reçoit immédiatement.

L'homme est grand, il doit avoir la trentaine. «C'est une très ancienne âme» me dira ensuite le gourou.

— Je ne sais pas ce qui m'a pris d'entrer ici, dit l'homme, manifestement agacé, je suis contre les bondieuseries et les fadaises new age, et votre toge orange m'énerve, c'est pas comme ça qu'on s'habille chez nous...

Il s'arrête pile et reste en apnée. Patyji ne bronche pas.

— Pardon, enchaîne le visiteur, je ne sais pas ce que j'ai, je suis énervé. La chaleur, la pleine Lune et cette éclipse ce soir avec Mars en plus... On nous prédit des catastrophes et des misères, comme s'il n'y en avait pas assez en ce moment. Mais où va le monde, vous vous rendez compte? Tout s'écroule, plus rien ne fonctionne correctement, la politique, les administrations, le système complet est en vrille, et je ne vous parle pas de ma vie... Alors si l'éclipse nous en rajoute une couche, ça va donner quoi? Ça fait peur, tout ça!

— Le monde est tel qu'il doit être, déclare posément Patyji.
— Quoi ?

Il ne s'attendait pas à ça. Je crains une seconde qu'il n'agresse le Sage et je me dis que des fois, il devrait fermer sa grande bouche de prêcheur, l'enturbanné! Mais non, le gars se calme au contact du doux hindou qui le regarde de ses grands yeux bienveillants. Le Maître a toujours cet effet lénifiant sur ses consultants.

— As-tu une question précise, Padawan impromptu?
— Beuh... balbutie l'homme. Oui, non, je ne sais pas... En fait, je me demande... Je ne sais pas ce que je me demande... Je me pose des questions. Je viens d'être licencié de mon job au bout de treize ans. Je n'ai pas peur pour la suite, j'ai déjà trois propositions intéressantes, mais il m'a semblé il que ce serait bien que je prenne quelques jours de vacances et trois mois ont déjà passés. Je n'arrive pas à me faire à l'idée de continuer comme ça. Je crois... je ne sais pas... il me semble qu'il y mieux à vivre que ça.
— Quoi, «ça» ? demande Patyji avec candeur.
— Ça... tout ça... Boulot-métro-dodo, la vie de couple, les enfants, l'école, les vacances, la vie réglée comme du papier à musique. On va vers quoi avec ça? C'est quoi le but?
— Ce sont des bonnes questions.
— Et les réponses ? dit l'homme d'un ton sec.
— Qu'attends-tu de moi ?

Quand Patyji répond à une question par une autre question, c'est là que la séance commence à être intéressante. Il m'a dit que depuis quelques temps, il en avait marre de répondre aux questions des consultants qui de toute façon n'écoutent pas et ne suivent pas ses conseils. «Tu sais, a-t-il ajouté, ils ont toutes les réponses, ce sont les questions qui leur manquent».

— J'attends qu'en tant que gourou indien, vous me prédisiez mon avenir, répond l'homme d'un ton déterminé. Qu'est-ce qui est écrit pour moi dans les astres? Quelle est ma destinée, quelle est ma mission?
— Je n'en ai aucune idée, mon pauvre ami, s'exclame Patyji! Comment veux-tu que je le sache? Je ne suis pas dans ta peau, le créateur de ta vie, c'est toi et toi seul. Les astres n'y sont pour rien. La destinée n'existe pas; ta mission, si tu l'acceptes, c'est toi qui la détermines, mais elle peut aussi s'auto-détruire dans les cinq secondes!...

J'étouffe un grand éclat de rire. Il a fait exprès? On a regardé la série des "Mission Impossible" l'autre soir et je vois dans le regard qu'il me jette en biais que oui, il a fait exprès, mais il le camoufle bien derrière une expression tout à fait naïve. Il fait maintenant semblant de s'échauffer et le consultant est penaud. Il enchaîne :

— Comprends une chose importante, Padawan satellisé, c'est que la nature humaine est une grosse feignante. C'est bien plus facile de s'en remettre aux astres et de les accuser de tous les désastres, mais la vérité, c'est que le coupable de ta vie qui va de travers, ce n'est personne d'autre que toi. Et maintenant, je vais te donner le joyau pour lequel tu es venu consulter: que ta vie s'écroule, c'est le meilleur cadeau que tu es en train de te faire. C'est ton âme, dans un carcan trop étroit depuis trop longtemps, qui se rebelle et qui brise le cadre. Tu vas te sentir très seul et très vulnérable dans les semaines qui viennent, c'est parce que ton armure s'est désintégrée. Le cadeau, c'est la liberté que tu es en train de t'offrir. Savoure-la et jouis-en. Décide. Choisis. Que veux-tu? Qu'est-ce qui te branche?

Je me demande s'il ne regarde pas un peu trop la télé, mon co-loc. Il a parfois des expressions qui tranchent avec son discours.

Il en restera là. Il a joint les mains, fermé les yeux et murmuré «Namasté» en signe de fin de discours.

Je trouve qu'il a été particulièrement loquace aujourd'hui. J'ai envie de lui demander si ce ne serait pas à cause de la pleine Lune; ça le ferait rigoler mais je me retiens car le visiteur me jette un regard troublé et je lui fais signe que la consultation est terminée.

Je le sens encore perturbé quand il glisse ses deux balles dans la tirelire.