Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mardi 29 juillet 2014

Doigté

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Mon héroïne est embarquée dans une histoire qui lui fait dépasser ses limites. Influencée par un amoureux, elle vit des nouvelles expériences sexuelles. Je ne veux pas que mon roman devienne salace, il faut trouver les bons mots. J’écris :

Il y a deux ou trois mois, il lui fait regarder une vidéo de tantrisme pour lui faire comprendre une position compliquée qu’il voulait expérimenter. La vidéo n’était pas pornographique, la séance qui avait suivi fut tantrissime. Depuis, ils regardaient souvent un DVD avant, puis pendant leurs ébats. Petit à petit, elle s’habituait au fait d’avoir quelqu’un d’autre dans leur chambre, même si ces autres n’étaient que virtuels. Avec doigté, il faisait tomber ses tabous l’un après l’autre.

Je m'arrête net et j’éclate de rire! Une image dégoûtante vient de surgir. Non, «avec doigté», ça va pas être possible. Je m’arrête, je cherche un synonyme. Dans ma banque de données personnelle, rien. J’ouvre le dictionnaire des synonymes. Adresse, habileté, entregent, dextérité, diplomatie, politique, savoir-faire, tact.

Ah zut, rien qui ne remplace de façon satisfaisante ce doigté qui me plaît bien. J'hésite à le laisser. Peut-être que l'esprit du lecteur n'est pas aussi mal tournée que le mien. Je relis la phrase. Non, décidément, ce n'est pas possible, je veux impérativement faire dans la dentelle.

Je finis par opter pour: Avec une perverse habileté, il faisait tomber ses tabous l’un après l’autre.





jeudi 24 juillet 2014

Création

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Elle dure, cette panne, elle est en train de m’angoisser. Je n’écris plus parce que je pense, et pas aux mariés de mon roman toujours coincés dans leur hôtel dans les Caraïbes. J’ai cru que j’allais les rejoindre, et l’avion a été cloué au sol par des réflexions trop profondes, des choses impossible à exprimer et qui me semblent incontournables. J’ai tenté des les verbaliser, ces abîmes de méditations, ça a donné l’article précédent. Plutôt lourd sur la digestion.

Un mauvais chapitre que je décide de conserver, parce que j’ai décidé d’écrire sur l’écriture, et l’écriture, des fois, c’est très mauvais avant d’être bon.

Je vis un parallèle étonnant. Je suis un cours collectif de poterie où je fabrique des objets pour mon intérieur. Du travail manuel pour reposer le mental de temps à autre. Au fil des semaines, j’ai ainsi conçu un projet de lampe. J’ai tâtonné, construit une maquette, puis élaboré le projet en respectant mal les règles de l’art. J’ai donc raté plusieurs modèles avant d’arriver à ce que je voulais, et j’ai recyclé l’argile.

En me voyant détruire ma pièce, l’une des participantes s’est exclamée:

— Toutes ces heures de travail perdues!

Je l’ai regardée avec étonnement. D’abord, je n’avais le sentiment que c’étaient des heures de labeur, c’était du plaisir. Et puis ça m’a fait réfléchir sur la notion de travail dont la joie ne fait plus partie. — Je réfléchis toujours très vite et beaucoup. Et puis «perdues»? Non, certainement pas. C’étaient des essais, des jets créatifs. Pas satisfaisants? Il suffit de recommencer.

J’ai fait d’autres tentatives en respectant les règles de l’art. J’ai fabriqué les éléments l’un après l’autre, j’ai conçu un support sur lesquels les adapter. J’ai contrôlé le séchage des diverses parties pour les assembler à consistance idéale afin qu'elles durcissent sans efforts ni tensions dans la terre. Grâce aux précédents ratages, mon projet a été plus précis. J’ai rectifié les proportions, fignolé certains détails, amélioré la structure. Le résultat fut enfin bon, après avoir été d’abord mauvais.

Et me voilà à pondérer à nouveau sur le processus créatif. L’un de mes meilleurs chevaux de bataille. J’ai découvert le sujet avec Thomas Mann, j’ai savouré ce qu'il avait à en dire. En allemand dans le texte, je vous prie, à un âge où la philosophie et cette langue étrangère m’intéressaient a priori beaucoup moins que les garçons. Il m’a embarquée, Thomas, dans une mort à Venise, au sommet d’une montagne magique et en compagnie de Tonio Kröger. Embarquée, mais pas convaincue. Il proclame que la créativité ne peut naître que du malheur, de la douleur. Oui, le pathos peut rendre lyrique, mais la joie aussi. Je voudrais savoir en établir le fait aussi magistralement que l’auteur allemand.

Il est puissant, le processus créatif, et cette puissance est effrayante. Confusément, d’abord, et consciemment ensuite quand la création nous renvoie l’image de ce qui était en nous. Rarement exactement l’idée de départ. Quand je l’ai imaginé, mon projet de céramique, il avait une allure dans mon mental qui ne fut pas l'exact reflet de l’objet sorti du four. Pas totalement différent non plus. Comme si la création avait sa vie propre. Comme si l’argile avait eu son mot à dire, tout comme les émaux à la cuisson.

Exactement comme un enfant qui peut ressembler à son parent, physiquement, psychiquement, mais qui a surtout et avant tout son propre caractère.

Or donc, panne d’écriture parce ma quête de signification existentielle m’a emmenée dans des abîmes de réflexion. Comment revenir à la surface? Que faire ces réflexions un peu trop denses? Je vais plomber mon roman avec une densité pareille! Alléger, synthétiser. Trouver l’essentiel de ce que je veux transmettre, et puis aller au plus simple.

Grâce à l’humour, peut-être. Mais comment rire de la densité?

Décaler. Prendre un peu de recul.

Décider. Ah oui, d’abord décider, tout part de l’intention. Qu’est-ce que je veux exprimer, au juste? Le déterminer en deux ou trois mots précis. Ensuite, appliquer les règles de l’art. Ne pas être mes mots, juste les modeler. Reculer de deux ou trois pas, les faire tourner devant moi pour les observer sous tous les angles, et puis respirer.

Important, ça, respirer.

Inspirer l’idée, la laisser faire son chemin en moi, et puis l’expirer, l’exprimer, la rendre au monde avec générosité en l’additionnant d’un peu de moi. La création finale ne m’appartient pas plus que l’idée que j’ai attrapée pour la réaliser. Je dis que la création en céramique est mienne parce qu’elle a passé par moi et qu’elle viendra vivre à la maison, mais tout comme l’enfant qui est né de moi, elle ne m’appartient pas.

Je possède le copyright de mon roman parce que c’est moi qui l’ai traduit en mots, mais la vie qui l’a inspiré est universelle. C’est celle des autres autant que la mienne, les personnages sont tous moi, ils sont tous les autres, et aucun n’appartient à quiconque.

Créer, c’est libérer.


mardi 22 juillet 2014

Fièvre

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Un épisode de grippe me cloue au lit pendant deux jours et interrompt l’écriture.

«Clouer au lit» ou «clouer au sol» pour des avions, voilà des métaphores étranges. A-t-on jamais vu un avion cloué au sol? En revanche, des clous dans mon lit, peut-être bien. J’ai de la fièvre et des courbatures, autant de petites pointes douloureuses dans mes muscles.

J’en profite pour lire les articles et visionner les vidéos marque-paginés «pour plus tard». Plus tard, c’est maintenant. Ce sont des articles sur la marche du monde. Toujours les grandes questions existentielles qui me passionnent. Qui suis-je, où cours-je, dans quel état j’erre?

Tant pis pour les jeux de mots laids, j’ai de la fièvre.

Ces questions sont en moi depuis toujours. Il me semble que je suis née avec la première qui fut : «Mais qu’est-ce que je fais là?» On m’a souvent dit de ne pas chercher la réponse et j’ai posé une autre question : «Pourquoi?» On ne m’arrêtera pas.

À l’adolescence je me demandais à quoi servait la vie. Les réponses furent si peu satisfaisantes que j’ai caressé, pendant quelques temps, un projet de suicide. C’était de la logique et non du désespoir. Si vraiment il n’y a rien après la mort, alors pourquoi se fatiguer à vivre? L’ennui de ma vie m’épuisait, alors autant y mettre fin tout de suite, si la mort est inéluctable et la vie fatigante. Logique mais pas certain. La Voix en moi, encore lointaine, me soufflait que la réponse était ailleurs.

Je me suis alors demandé si vraiment, il n’y avait rien après la mort. J’ai trouvé des réponses, celles à tiroirs, celles qui amènent d’autres questions. Ça, c’était amusant et le plaisir a balayé l’ennui. Certaines de ces réponses sont devenues mes certitudes. Les miennes, que je partage sans les imposer, car il n’y a rien de moins certain qu’une certitude. Je les conserve, parce qu’elles me tiennent chaud et surtout, elles me maintiennent en vie.

Je suis convaincue, par exemple, qu’il y a un ordre des choses qui fonctionne logiquement. Je cherche toujours la logique. Et je trouve, parce que quand on cherche, on trouve. Parfois, je tombe sur du vide, du rien. Mais le rien, c’est quelque chose, comme disait l’autre. Parfois, la logique des choses n’est pas à notre portée car nous n’avons pas tous les paramètres à disposition. C’est là que l’humilité est nécessaire.

J’ai compris aussi qu’on ne peut pas tout comprendre. Question de cerveau. La vie n’est pas seulement ce que nos cinq sens plutôt atrophiés peuvent en capter, même si on leur ajoute quelque micro ou macroscope de haute technologie. Plus on découvre, plus il y a à découvrir, c’est bien connu. J’ai adoré comprendre cela.

Un truc énorme est arrivé avec la compréhension, c’est la responsabilité. À comprendre les rouages de la vie, la portée de mes actes, je ne peux plus dire «je ne savais pas». Pourtant, certains jours, il ferait bon retourner dans le nid douillet de l’inconscience.

On m’a souvent reproché :

—Tu réfléchis trop! T’es une mentale.

Je l’aime bien, ce dernier. Ils ne le savent pas, mais je le prends comme un compliment. Oui, j’utilise mon mental pour prendre conscience, pour comprendre, pour englober, pour tomber sur les limites et les dépasser. Et ce matin, à visionner mes youtubes en retard, manifestement, je ne suis pas seule à me poser ces grandes questions. Je ne suis pas seule à penser que notre monde est bizarre, que nous vivons dans une illusion. Celle, entre autres, que le bonheur, c’est le dollar. Ça, c’est la plus grande farce qu’on nous joue en ce début de IIIe  millénaire. Ça fait des décennies qu’on nous la joue, cette farce, et vraiment, je ne la trouve pas drôle. Sûrement parce que pour la jouer, il faudrait que je me laisse pousser les dents et les pieds pour que les premières rayent le parquet et les seconds écrasent ceux des autres. Mais ça aussi, c’est sûrement une illusion.

Ce qui ne l’est pas, c’est que même si j’aime le confort et le luxe, jamais l’argent n’étanchera en moi ce qui a soif. Un jour de catéchisme de mon enfance, j’ai entendu deux mots magiques: «paradis terrestre». Ensuite, on m’a dit qu’il se trouvait au ciel, après la mort. Il faudrait savoir, terrestre ou céleste, le paradis? Dans cet oasis magnifique, Adam et Eve, les amants merveilleux et nus, vivant d’amour et d’eau fraîche. J’ai bien aimé l’idée. Ils procréèrent deux rejetons, un gentil, Abel, un méchant, Caïn. Là, j’ai commencé à ne plus l’aimer, cette histoire. Mais admettons. Ensuite, c’est devenu franchement foutage de gueule, même pour une gamine de huit ans. Non seulement, cette famille-là serait à l’origine de toute l’humanité — une bande de bâtards forniquant entre eux, soit dit en passant — mais ensuite, il est question de pommier empoisonné par un serpent, de vilaine sorcière, de sept nains… Ah non, pardon, je dois mélanger les légendes.

Le thermomètre indique 38,8° de fièvre, je devrais boire quelque chose et surveiller mon langage. Peu importe, je continue.

Ce sont des questions d’il y a longtemps, mais elles m’énervent encore. Ces deux derniers jours, au fond de mon lit, c’est David Icke qui ouvre une brèche supplémentaire et augmente ma fièvre. Ça faisait longtemps que je n’avais pas questionné la vie, je ne me rappelais plus comment j’aimais cela, questionner. David Icke croise souvent mon chemin. Au début, je le trouvais vraiment frapadingue et ce qu’il disait me faisait peur. Et puis il y a eu Laura Knight et ses Cassiopéens. J’ai eu encore plus peur. Tous deux parlent de prédateurs de l’humanité, tout comme Castaneda, d’ailleurs, d’un genre extra-terrestre reptilien. —Tiens, tiens, le serpent de la pomme? Des histoires tellement énormes que je les ai étiquetées «folles, à consommer avec précaution». Je me suis dit toute seule, pour une fois, qu’il fallait raison garder.

Oui, mais justement, c’est la raison qui nous maintient en prison. C’est elle qui décourage les réponses aux questions les plus ajustées. «C’est de la folie» n’est pas une réponse, c’est une indication. D’un autre côté, quand je vois comment rien qu’un peu de bonne volonté change les choses, je suis fascinée par les humains que nous pouvons être. Alors pourquoi ne l’utilisons-nous pas, cette bonne volonté? Pourquoi tous les justes sont-ils holocaustés? Gandhi, Martin Luther King, John Lennon qui «imagine tous les gens, avançant comme un seul, main dans la main». On les fait taire, pourquoi? Qui ne veut pas d’eux? Pas moi.

Les réponses font frissonner. Prendre conscience de tout cela me paraît crucial. J’aimerais trouver les mots pour convaincre les autres que «la vie, c’est pas ça». Le paradis, je suis sûre qu’on peut le créer terrestre. Il faudrait qu’on s’y mette ensemble, ça vous dirait pas? Mon mental surchauffe et je ne sais pas si c’est lui qui cause la fièvre ou si c’est la fièvre qui fait tourner les grandes questions en boucle, mélangeant tout et me déconnectant une fois de plus de mon écriture.

Je prends une double ration d’aspirine, parce que je vais y retourner, à mon roman. Demain, juré, après une bonne nuit de sommeil.

Trois jours plus tard, la révolte est toujours là. Obsessionnelle. Je me sens impuissante à changer le monde toute seule, et j’ai beau changer la mienne, il me semble que dehors, les choses empirent. Je dépends des autres. Ah non, je n’aime pas cette idée, et je suis sûre qu’elle est fausse. N’empêche qu’une conviction s’installe en moi que collectivement, nous pourrions faire basculer les choses. Et il y a un feu dans mes tripes qui a besoin de trouver comment donner aux autres envie de changer les choses. J’y crois tellement que je ne sens capable de le faire. «On a tout essayé sauf l’amour». Ça ne vous tente pas?

Bon, là, ça devient pathologique. Je me fais un café fort, je secoue mes neurones, et j’attrape la page blanche où les mariés sont en train de s’étioler en voyage de noces. C’est le moment de les réanimer et d’inventer la suite de l’histoire.

Au travail ! Discipline et persévérance.



samedi 19 juillet 2014

Le couple

LES CONSULTATIONS DE PATIJY

Ce jeudi, c’est une femme d’une trentaine d’années qui vient consulter Patijy. Elle est toujours célibataire et aspire à trouver un amoureux.  

— Patijy suprême, quand crois-tu que je vais rencontrer mon âme-soeur?

— Qu’est-ce qu’une âme-soeur, jolie Padawanette?

C’est vrai qu’elle est jolie, cette femme. 

— Euh… fait la femme, surprise par la question. M’enfin, Patijy, tu ignores ce qu’est une âme-soeur? C’est l’homme parfait, le bon compagnon, l’amant tendre et généreux…

— Ah, tu voudrais vivre en couple, c’est cela? Pourquoi?

— Eh bien je ne sais pas, pour être heureuse.

— Petite Padawan innocente, je crains que tu ne te méprennes. C’est précisément le jour où tu te maries que les ennuis commencent, regarde autour de toi, le bonheur en couple est aussi rare ou aussi abondant que dans la vie d’un ou d’une célibataire. En vois-tu beaucoup des couples harmonieux? Je ne dis pas qu’ils n’existent pas, mais la plupart des relations actuelles sont là pour combler le vide intérieur.

À ce moment-là, Patyji a un spame, il ferme à moitié les yeux et prend la voix de Fabrice Luchini pour déclarer :

— Le couple dans le mauvais côté s’est pour se fuir soi. C’est-à-dire: l’individu incomplet cherche dans l’autre sa complétude; c’est-à-dire qu’en gros, un couple, c’est deux individus pas finis qui inventent un troisième individu qui est le couple. Alors ils ne savent pas qui ils sont mais ils sont quelqu’un, puisqu’ils sont le couple… Ils sont «les Machins».

Puis il revient à lui et explique qu’il vient de channeler quelqu’un qu’il ne connaît pas, mais qui a dit quelque chose de très bien. Il poursuit de sa voix à lui:

— Si tu veux avoir une relation intime avec les autres, il faut commencer par avoir une bonne relation avec toi-même. Pour répondre à ta question, tu rencontreras ton âme-soeur, comme tu l’appelles, quand tu te seras vraiment rencontrée. En fait, dès ce moment, tu rencontreras des compagnons magnifiques à la recherche desquels tu ne seras plus. Tu ne te sentiras plus seule car tu seras complète et tu rencontreras aussi des gens complets. J’ai répondu à ta question.

La femme s’en va en grommelant qu’heureusement que la consultation ne coûte que deux balles, parce qu’elle ne s’attendait vraiment pas à cette réponse.




mercredi 16 juillet 2014

Je suis

Je suis le créateur de ma vie, il n'y a rien à craindre, rien à contrôler, rien à quoi résister.





dimanche 13 juillet 2014

Mont-Blanc

J’ouvre la boîte sur laquelle la marque prestigieuse est inscrite en lettres blanches. C’est une plume à réservoir offerte par un auteur satisfait. Je la reçois comme un joyau et j’en suis profondément émue.  En tant qu’Occidentale, la première chose qui m’est venue à l’esprit en le recevant est le prix du cadeau, mais une chose me touche plus encore: cette plume arrive peu après ma décision de publier un roman. L’objet vient soudain verrouiller mon intention et je sens qu'il n'est plus possible de renoncer à écrire avec un tel accessoire.

L’homme est d’origine asiatique et il y a dans son geste toute l’esthétique de sa culture. Il m’a offert la plume tout en me laissant le choix de l’encre. Je me déplace jusqu’à la boutique qui se trouve en centre ville, une arcade aussi prestigieuse que la marque dans un quartier qui ne l’est pas moins. Un portier m’ouvre en me souhaitant la bienvenue et je me sens l'âme d'une reine.

Je désire une encre violette. La jeune femme qui me reçoit est désolée, il ne lui en reste plus. Avant de demander qu’on la commande, j’envisage les autres possiblités. Il y a longtemps que je n’écris en plus en bleu, cette couleur me rappelle mes années d’école. J’ai longtemps écrit en noir, mais je trouve cela désormais ennuyeux. On me propose un «rouge Bourgogne» somptueux. Hélas, les lettres tracées sur le papier avec cette couleur semble écrites avec du sang. Une morbidité amusante, mais peu attrayante. Sinon, il y a un turquoise foncé très joli et un brun intéressant.

J’aime le violet, j’insiste. Pourriez-vous passer la commande? L’hôtesse me répond par l’affirmative,  en allant tout de même vérifier à l’étage, il lui semble qu’il reste un emballage d'encre violette.

Effectivement.

De retour chez moi, je remplis religieusement ma plume avec des gestes dignes d’une cérémonie du thé. C’est un bel encrier en verre, prévu avec ingéniosité pour tremper la plume sans faire de taches et pour permettre d'aspirer l’encre jusqu’à la dernière goutte du flacon. Pendant l’opération de remplissage, on peut voir le niveau dans le petit regard transparent de la plume, c’est amusant.

Je fais aller le bec en or sur le papier. L’encre hésite, elle traverse la plume pour la première fois, ça donne trois lettres invisibles, et puis le flot régulier coule agréablement. Je fais des phrases improvisées juste pour savourer le délié de l’écriture qui se déroule. J’écris cinq fois de suite: «une magnifique plume pour une belle écriture, je suis contente, merci beaucoup».

J’attrape un bristol et je calligraphie une carte de remerciement à l’adresse de l’auteur satisfait pour lui exprimer une bien réciproque considération.

À la fin, ma signature chaloupe de plaisir.










mercredi 9 juillet 2014

Doute

Bourrée de scepticisme quant à mon talent, je suis prompte à remettre en question ce choix d’écrire. Ne devrais-je pas plutôt choisir un vrai travail , celui qui génère un vrai revenu? Je prospecte et décroche quelque mandat rémunéré qui me rassure en même temps qu’il m’éteint. Les jours passent et ma plume me démange à nouveau, alors je reviens à mes lignes. L’histoire est en panne depuis des jours, mes personnages doivent avoir des crampes à être figés depuis si longtemps. Et à nouveau la sale petite voix qui décrète que tout cela n’est pas très raisonnable et qu’il faudrait songer à faire quelque chose de plus sérieux.

Bref, je doute.

Je suis dans cet état d’esprit quand j’arrive chez cette amie. Je scanne sa bibliothèque, j’aime bien voir le reflet des gens dans leurs livres. Ici, je trouve évolution personnelle, spiritualités, des romans et puis des biographies inspirées et inspirantes. Elle est en quête, comme moi, c’est ce qui nous lie d’amitié.

Elle a aussi des cartes. Divers oracles. Je tire trois cartes des anges dans la soucoupe où elles se trouvent en vrac. La première est blanche. «Joker», je peux y inscrire ce que je veux. Les anges me donnent carte blanche, c’est le cas de le dire. Bon début. La seconde, «joie». J’en manque un peu ces temps, ça tombe bien. La dernière, «force». J’accueille les mots, les petits dessins suggestifs, je souris aux messages des anges.

Et puis je saisis son jeu de cartes des maîtres ascensionnés. De très belles lames dorées sur tranche. Je mélange les cartes et je m’apprête à en tirer une distraitement. J’arrête mon geste pour réfléchir à ma demande du moment, on ne consulte jamais un oracle distraitement, il y a des choses à prendre au sérieux, dans la vie. Après un moment de silence intérieur, je m’entends formuler : «Entendre ce à quoi je suis peut-être un peu sourde en ce moment.»

Je tire la carte.

«Écrivez!»

C’est écrit : «écrivez!» 

En gras. Avec un point d’exclamation. C’est un ordre. 

Plus bas, en caractères romans : «Écrivez sans vous soucier de l’orthographe, de la grammaire ou de la ponctuation, vous le ferez plus tard, écrivez, vous avez des choses à transmettre.»

Cette injonction émane de Thot dont il est précisé qu’il est l’inventeur de l’écriture en plus d'être le scribe sacré, celui qui a transcrit l’enseignement de l’École des Mystères ; il est le gardien de l’ésotérisme. Excusez du peu.

Si c’est Thot qui le dit, moi, je n’ai plus qu’à m’exécuter et je retourne de ce pas à ma feuille blanche.






samedi 5 juillet 2014

Au théâtre hier soir

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Au théâtre hier soir, une pièce intimiste. Deux acteurs sur la scène, un homme, une femme, qui font la première lecture d’une pièce qu’ils sont en train d’écrire. C’est l’argument de la pièce. Les acteurs en sont également les auteurs. En vrai.

Ces deux comédiens-écrivains ont un charme singulier. Divers personnages interviennent qu’ils jouent à tour de rôle, ils prennent pour cela une voix et une attitude particulière à chacun. Une vieille dame parle avec la bouche un peu de travers tandis que Marcel est un peu nigaud et parler du nez. Henri parle d’une voix rauque et Josy parle «blonde». Les auteurs, eux, parlent normalement.

C’est une toute petite salle de spectacle, je suis au premier rang. La pièce eut été desservie dans une grande salle, impossible de forcer le jeu avec un tel texte pour l’envoyer jusqu’au fond d’une salle plus grande.

Une écriture fine, élégante, drôle et «plus subtile qu’il n’y paraît» affirme une réplique récurrente de la pièce. Ils lisent également les didascalies et l’homme explique que c’est «une indication scénique écrite par l’auteur complétant le dialogue mais n’en faisant pas partie». La première didascalie décrit la situation dans laquelle nous sommes:

— Deux acteurs, assis à une table basse sur laquelle il y a deux verres et une carafe d’eau.

Expression dépitée de la femme devant l’absence de ces objets sur la table. Sourires dans la salle, le ton est donné.

Plus loin, l’homme parle de l’affiche de la pièce.

— Oui, l’affiche est déjà faite, vous l’avez peut-être vue. Elle est là, tiens, je vais la chercher.

Il sort côté jardin pendant que la femme s’apprête à poursuivre la lecture sans lui. Elle est interrompue par le bruit que fait l’homme dans les coulisses. Il revient avec l’affiche. Il la tient pour nous et la décrit longuement. Il explique qu’on a laissé de la place, ici, pour inscrire les noms des acteurs, plus tard, quand la pièce sera montée. Puis il veut l’afficher, « c’est une affiche, on l’affiche, l’affiche, c’est prévu pour cela », explique-t-il. La femme fait remarquer qu’il n’y a rien pour l’afficher. L’homme montre le mur du fond, il s’approche et rit car, justement, il y a deux scotchs contre le mur.

— Ha, ha, ha, comme c’est drôle. Justement deux scotchs.

Son rire est irrésistiblement communicatif, toute la salle rit crescendo et l’acteur de plus belle pendant qu’il scotche l’affiche au mur du fond. Il insiste gaiement sur la présence de ces deux scotchs, justement, sur le mur, alors qu’il voulait afficher l’affiche.

Il a un jeu mesuré, mais délié, aisé. C’est léger, c’est de la dentelle, je savoure avec délice.

Ils décrivent un étang devant eux qui rappelle le titre de la pièce: «Au bord de l’eau». Face à eux, c’est donc nous, le public. Au début, on visualise l’étendue d’eau, là, quelque part. Et puis le jeu des acteurs nous fait fusionner avec l’élément jusqu’à nous retrouver barbotant dans l’étang. La femme décrit ensuite l’eau qui miroite:

— On dirait des dizaines d’yeux qui brillent dans le noir.
Le public, pris au jeu, est parcouru d’un frisson amusé. Je suis enchantée. Littéralement.

Plus tard, même fusion de la réalité avec la fiction entre la femme et l’un des acteurs dont elle lit les répliques. L’homme, qui incarne l’auteur à ce moment-là, se recule un peu pour mieux observer sa comparse et s’exclame:

— Woah, je pensais pas qu’un des personnages s’adresserait à moi.

Un moment hors espace-temps où les mondes se mélangent. Puis encore, à la fin d’une diatribe:

— …il vient de l’eau, de là, dit la femme en montrant le public-étang.

Elle est interrompue par le rire de l’homme.

— Non, pardon, mais c’est amusant, vous avez dit «de l’au-delà»
— Non, pas du tout.
— Si, vous avez dit : «de l’au-delà», ha, ha !
— Non, non, je n’ai pas dit ça.
— Si, si. Ha, ha, c’est amusant, «de l’au-delà».
— Mais non, pas du tout, j’ai dit : «de l’eau…»

Elle refait le geste en direction du public pour désigner l’eau de l’étang, là…

— Ah oui. De l’eau-delà.

Magnifique exercice de style, magistrale maîtrise des mots et de leur sens et complet raffinement dans la mise en scène.

Je viens de passer une excellente soirée. Quand je serai grande, j’écrirai ainsi.





mercredi 2 juillet 2014

Game of thrones

LES CONSULTATIONS DE PATYJI

Ce soir, à mon grand étonnement, je trouve le sage Patyji planté devant la télé, il regarde Game of thrones.

— Patyji suprême, tu regardes Game of thrones? demandé-je avec un chouïa d’étonnement.

— Oui, Padawan mon hôtessse affectionnée, merci de me permettre de voir la boîte à images en couleurs qui bougent toutes seules.

Il n’est pas demeuré au point de ne pas savoir ce qu’est la télévision, mais il se donne souvent un genre sauvage primitif, pour rire. C’est un grand déconneur, ce Patyji.

— Ça va pas, la tête, Patyji? Cette série est une horreur. J’ai rarement vu autant de violence et de sexe, comment peux-tu supporter?

— C’est l’avantage d’être un sage, Padawan effrontée, et je te prie de me causer meilleur. Ça va très bien la tête, et c’est justement parce qu’elle va très bien, ma tête, que je peux regarder une telle série sans dommages spirituels.

— Vraiment? Et pourquoi as-tu choisi cette série précisément, ô Patyji geek?

— La sagesse est partout et en tout, ignorante Padawanette marrante, tout dépend du regard qu’on porte. Figures-toi qu’il y a beaucoup à apprendre de ces «jeux de trônes». Tu veux que je t’explique?

— Volontiers, parce que j’ai de la peine à comprendre l’engouement planétaire de cette série.

— Eh bien tu as déjà fort judicieusement remarqué que le sexe et la violence sont exposés à leur paroxysme. Ni foi, ni loi, les bas-instincts humains sont montrés dans toute leur objectivité. Il manque encore les odeurs pour avoir le tableau complet de la capacité de l’humain dans le registre de la violence.

— À quoi bon, Patyji, tu ne crois pas qu’on en a assez?

— Il faut croire que non. Quand nous en aurons assez, nous passerons à autre chose. En revanche, je discerne dans cet attrait mondial pour un scénario qui fait partie de toutes les traditions des peuples comme une synthèse collective.

— Que veux-tu dire?

— De tous temps, les humains se sont bagarrés pour prendre le pouvoir, quel qu’il soit. Où quel qu’ils ont cru qu’il était. Le pouvoir est bien sûr une illusion de plus. Quel est ton sentiment quand tu regardes la série?

— Écœurement. Et fascination. Les décors sont splendides, les personnages multiples. Ils sont tous à la fois laids et magnifiques. Je constate que leurs luttes sont stériles et destructives, et je reconnais que j’attends l’épisode suivant.

— Pourquoi?

— Dans l’espoir que ça finisse bien.

— Et ce serait quoi, une bonne fin?

— Ils se réconcilient, ils s’aiment tous et ils créent un monde parfait.

Patyji sourit et me fait signe de me taire. Les pubs sont finies, l’histoire reprend, il veut voir la suite.






mardi 1 juillet 2014

Murmureuse

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Je surfe sur la vague du web et j’arrive sur une plage — ou page — où se trouve le site d’une coiffeuse. Sa publicité explique qu’elle élabore la coupe qui convient à vos cheveux. Elle prend le temps de considérer qui vous êtes, elle se laisse inspirer, puis propose une «approche énergétique et vibratoire de la coupe» dans «un temps de partage, un temps d’introspection, un temps pour ressentir, laisser vibrer, laisser circuler, laisser le cheveu, miroir de l’être, prendre sa place.»

Totalement new age comme j’aime. Je raconte à une copine que je pense avoir trouvé la bonne adresse et je résume le pamphlet.

Mal. Je dis :

— Elle discute avec tes cheveux pour savoir comment ils doivent être coupés.

Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas aussi bien tourné que sur la page web. La copine éclate de rire et je suis surprise. Je réécoute ce que je viens de dire, je reconnais, c’est trop et mal résumé.

Je cherche de meilleurs mots pour le dire et je trouve :

— C’est une femme qui murmure à l’oreille des cheveux.

Et je suis contente de moi.



© David Cochard