Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 31 juillet 2020

Un moment de grande sensualité

Oncle Jo est mort.

Il a quitté son corps le 9 mars dernier, mais il est mort trois ans auparavant, quand Tante Doudou l'a quitté. 

Intellectuellement, il savait qu'elle allait partir en premier car elle avait quinze ans de plus que lui. Logique. Mais quand c'est arrivé, ça l'a secoué jusque dans la moelle de ses os. Il a cru qu'il pouvait survivre sans elle, mais quand, à plusieurs reprises dans les semaines qui suivirent, il est venu de la cuisine au salon avec le journal ouvert pour partager une nouvelle avec sa Doudou, il a eu froid devant le fauteuil vide. Sans le formuler nommément, il a su qu'il n'avait plus envie de continuer sans elle et ça lui a pris tranquillement trois ans pour épuiser toute sa force de vie.

Oncle Jo et Tante Doudou était des saltimbanques. Jo, c'est le diminutif de Joseph et Doudou, c'est le surnom adopté pour remplacer Colette, un prénom qu'elle n'avait jamais aimé. "Joseph et Colette Muller" pour ces deux originaux qui s'étaient rencontrés au théâtre; elle comédienne et lui menuisier de plateau. Elle aimait les gens, il aimait le bois. Tous deux aimaient les objets et leur maison s'est remplie de bibelots au fil des ans au point de devenir un joyeux capharnaüm. On n'a pas vu plus complémentaires que ces deux-là. 

Elle n'est pas restée comédienne, elle est devenue pédagogue. Il lui en a fallu, de la pédagogie avec Oncle Jo, qui avait un coeur d'or mais un foutu caractère. Il était du genre à piquer la mouche pour rien. C'est ainsi qu'il avait un jour coupé la communication avec un proche de Tante Doudou au point de ne même pas l'informer de son décès le moment venu. Tout ça parce que le proche en question, un jour de pique-nique, avait refusé d'aller lui chercher le tire-bouchon. 

Oncle Jo était aussi un bouffon. Lors des réunions familiales, quand le débat devenait trop sérieux ou trop intellectuel, il racontait une énorme blague qui brassait l'atmosphère. Il ne faisait de loin pas l'unanimité chez les adultes mais il a fait la jubilation de mon enfance. Il faisait de la magie, comme faire sortir une pièce de monnaie de mon nez. Il faisait le mime comme Marcel Marceau qu'il admirait. Il était beau, mon oncle Jo. Resté fidèle à la joie et la créativité des années hippies, il portait les cheveux longs et une belle barbe. Quand tout cela fut blanc, il comme était le père Noël toute l'année. Sa plus grande joie était de faire rire.

Quand Doudou est partie, il a moins ri, mais il n'avait pas en lui assez de sombre pour qu'il mette fin à ses jours, alors il a lentement cessé de prendre soin de lui et de son environnement. Petit à petit, il n'est plus sorti, et non plus les poubelles, accumulant les sacs de récupération au milieu de la cuisine jusque dans le salon. À la fin, il n'a plus quitté son lit, refusant les soins hospitaliers jusqu'au moment où la seule alternative fut les soins palliatifs. Il est arrivé à l'hôpital à dix heures du matin et il est mort à 13h dans un lit propre et blanc. 

Ma mère étant la seule héritière, nous nous sommes chargées, ma soeur et moi, de vider la maison, encombrée de tous les objets conservés qui avaient appartenu au couple et même à leurs parents respectifs. Nous avons passé une quinzaine de jours à trier, recycler, débarrasser et donner. Sous une couche de poussière de longue date, il y avait quelques perles. Ce fut un joli moment de revue de vie et un tendre adieu, mais aussi des journées à remuer des tonnes de saleté.

Pour nous remercier du travail accompli, ma mère nous avait promis un bon restaurant. Pour rétablir l'équilibre, ma sœur a choisi le luxe du Beau Rivage à Lausanne, chez Anne-Sophie Pic, la seule femme chef du moment, triplement étoilée chez Michelin. 

Nous arrivons à midi avec nos belles robes et sommes accompagnées sur la terrasse au bord du lac à Ouchy. Tout est magnifique, y compris la météo. Confinement oblige, les serveurs ont tous le masque, il est en tissu de qualité rayé blanc et bleu marine de grande classe. Au moment de l'apéritif, on va pour le Champagne, mais ma sœur préfère commencer sans alcool et c'est là que l'événement commence.

Avec chaleur, le serveur recommande un jus de coings fraîchement pressés et nous raconte son histoire. Les fruits viennent d'un pépiniériste local amoureux de son métier, ils sont cultivés biologiquement, en petite quantité... la suite n'est pas imprimée dans ma mémoire au contraire des sensations qu'elle me procure. Je vois les fruits, je sens leur odeur, leur couleur, je capte la joie du producteur relayée par le serveur. Quand la boisson arrive, c'est le Bon Dieu en culotte de velours qui glisse dans l'estomac.

Nous sommes en pleine discussion toutes les trois quand le serveur pose les amuse-bouches au centre de la table. Ma mère et moi attrapons une délicatesse et je vais pour porter le verre à mes lèvres quand j'aperçois ma sœur, les mains posées sur ses genoux, souriant à ce qui vient de nous être servi. À ce moment, le serveur commence à nous raconter les amuses-bouches et je me sens un peu plouc d'avoir gobé cette première bouchée sans conscience. Je ne l'ai pas complètement avalée et je prends alors le temps d'observer son goût, sa texture tout en remerciant ma sœur de donner le bon diapason. Ce n'est pas la pizzeria, ici! On savoure!

Je change de dimension. Soudain, mes sens s'ouvrent en grand et je vois tout. La beauté de la salle de restaurant que nous avons rejointe pour sa fraîcheur — il faisait vraiment trop chaud sur la terrasse —, la discrétion de la brigade des serveurs qui s'affairent autour des tables, la blancheur de la nappe, les assiettes, qui seront différentes à chaque plat, autant de céramiques choisies avec un grand sens de l'esthétique et qui semblent jouer un morceau de musique avec la nourriture dressée dessus. Tout est consciemment déterminé, du confort des petits fauteuils sur lesquels nous sommes assises au petit banc qu'on nous apporte pour poser nos sacs en passant par la beauté de la forme de mon verre à vin.

Ma plus belle expérience de ce jour est dans le verre. Nous nous concertons quant au choix du vin pour constater que nous avons toutes trois des envies de couleurs différentes, blanc, rosé et rouge. Ce sera donc du vin au verre. Nous demandons conseil au sommelier qui nous narre un autre roman épique au sujet des vins de leur cave. Quand c'est mon tour, je dis que j'aime le Pinot Noir. Il me décrit deux pinots de «chez Marie-Thérèse Untel» et l'appelle ensuite par son prénom comme si tout le monde la connaissait. En troisième, il me suggère «un grand cru de chez...», j'ai oublié le nom, il m'a eue à «grand cru». Je retiens que le producteur est un autre amoureux de son métier, qu'il chouchoute ses raisins, que ceux-là particulièrement sont savoureux au point de composer un grand cru qui ne peut en avoir officiellement le nom, car la cuvée n'a pas plus de 25 ans d'âge, mais que néanmoins, c'est un grand cru... Je suis en Bourgogne, le producteur est charmant, les raisins sont écarlates, l'odeur de la cuve en chêne se mélange de celle de la cave à vins, bref, je suis transportée.

C'est là que la sale petite voix me susurre: «Un grand cru? Dieu sait le prix!». Elle me coupe le plaisir une nanoseconde, le temps de lui répondre «Ta gueule!». Attends, on ne va pas chipoter à ce stade! Dans un trois étoiles, quand on aime, on ne compte pas. Je commande un grand cru, c'est dit! C'est quand que je vais l'apprécier mieux qu'ici? Il va parfaitement avec la cuisine d'Anne-Sophie, l'environnement du Beau Rivage et ma belle robe!

J'ai une petite crainte cependant. Je ne suis pas une grande connaisseuse de vin et je crains de ne pas savoir faire la différence entre un bon vin et un grand cru. D'abord, c'est le verre qui arrive. Une forme ample et généreuse qui touche mon sens du Beau. J'aime le verre déjà avant qu'il soit rempli. Je goûte le vin. C'est bien ce que je pensais, je suis déçue. Je m'attendais à plus rond et velouté. Tant pis, je vais faire semblant. Je dis trop vite qu'il est bon parce que soudain, il me délivre son alchimie qui explose en mille saveurs dans ma bouche. Après une première légère âpreté, voilà que les tanins apparaissent. Ronds, mais pas lourds. Et puis les fruits. Un peu acides, vigoureux et idéalement sucrés. Ensuite, je sens la présence du bois de chêne, c'est la première fois que ça m'arrive. Le reste n'est que sensualité et difficilement traduisible en mots, je ne peux que penser: «Ah oui, c'est vraiment un grand cru» comme si j'avais en moi un point de comparaison!

Filet de fera et grand cru






Nous avons pris le menu de dégustation à huit plats. Ce sont à chaque fois quelques bouchées seulement que désormais, je prends le temps de savourer jusqu'au bout dans la bouche, mâchant jusqu'à dissolution quasi complètement de la nourriture. 

Comment décrire cette symphonie de goûts assemblés avec une telle inventivité? Voilà un chip de pommes de terre fait maison avec une petite sauce citron. Un chip en forme de feuille de chêne. Ma sœur remarque qu'il est tout plat et se demande comment on peut arriver à un telle résultat. Bonne question. Je croque le chip, il est incroyablement savoureux — alors que je déteste les chips —, salé juste ce qu'il faut, et la goutte de sauce citron fait éclater un arpège de saveurs acides, sucrées et fruitées qui fait monter la joie. Je dois me retenir de ne pas exprimer mon plaisir comme Sally avec Harry dans le film.

Je suis tellement dans la jouissance du moment que je ne pense que trop tard à prendre des photos. J'en prends deux méchantes qui sont mal exposées et ne reflètent que très médiocrement le luxe de l'instant. Ce n'est pas très grave, la mémoire sensuelle a une bien plus longue durée de vie que la mémoire digitale. 

Ma mère paye l'addition qui est aussi luxueuse que les trois heures de rêve que nous venons de déguster. Après, elle m'avouera avoir accompli une première, celle de dépenser sans broncher la même somme d'argent pour ce repas de luxe que pour le loyer mensuel de son appartement. Et cela sans regret, ni culpabilité, ni honte. Nous éclatons de rire quand nous avons constatons que le verre de grand cru s'élève à 10% de l'addition. Je m'étonne à mon tour de n'avoir aucun scrupule et même, je suis fière de mon coup! Après tout, ce n'est que le l'argent. La richesse est ailleurs aussi.

Car pour tout dire, au vu du contexte global, je trouve que « ça le vaut bien ». Je n'avais encore pas expérimenté qu'un repas puisse être un souvenir inoubliable. Merci Anne-Sophie!




Dessert au chocolat




dimanche 9 février 2020

Au début...

— Au début était le Nom. Et le Nom fut proclamé depuis la Conscience Je Suis. Par le Nom, toute chose fut créée et de ce fait, rien ne put être créé sans le Nom. Dans le Nom était la Vie et la Vie était la splendeur du Nom. Cette lumière brille dans le Vide et le Vide accueille la lumière.

Patijy vient de prononcer ces phrases tout en oeuvrant sur son patchwork, dans le fauteuil de l'atelier où je dessinais en silence. Les mots semblent flotter dans la pièce comme un air connu. «Au début était...» reste en suspens dans mon esprit. Je murmure:

— «Au début était le Verbe». Depuis que je suis enfant, cette phrase m'emporte.

Je lui demande de répéter sa sentence, elle me pénètre lentement.

— Ce Nom, c'est celui dont tu m'as parlé hier? Le chant de l'âme? demandé-je.

— Oui. La signature individuelle de la parcelle de Conscience que tu es. On a dit qu'au début de la création, il y eu la parole. Une injonction: «Que la lumière soit!» et elle fut. Sur simple demande. Enfin, pas si simple, mais ce fut le premier éveil de la Conscience qui devint consciente d'elle-même.

— OK, je résume d'après ce que j'ai compris de nos récentes conversations: dans le néant immobile qui était au début de tout, sorte de soupe d'énergie immobile, il y avait une Conscience, mais inconsciente d'elle-même. Un jour, comme ça, une idée lui a pris de vouloir être consciente d'elle-même.

— C'est ça. Dans les écritures, on a dit que «Dieu a voulu se contempler lui-même».

— J'ai mis du temps à la comprendre, celle-là. Je le trouvais très arrogant, ce Dieu qui voulait s'admirer... Pourquoi ne pas tout simplement créer un miroir?

Patyji sourit:

— C'est bien ce qui s'est passé, mais pour en arriver au miroir, il a fallu créer toute la Création.

— Une question: qu'est-ce qui a provoqué cette volonté de conscience de soi?

— Bonne question. Je n'ai que des conjectures, répond mon sage compagnon. Peut-être que la Conscience s'ennuyait dans son immobilité? Peut-être que c'était prévu de tout temps? D'abord une conscience statique: J'existe, et rien d'autre. Et puis le désir d'être conscient d'exister est arrivé. Comment? Pourquoi? Je cherche encore les réponses, dit Patyji avec enthousiasme.

— OK, le désir, j'aime bien ça. Pour tout dire, pour moi, c'est ça le Big Bang. Ce désir qui a créé le Verbe qui créa la Lumière. Comment as-tu dit? Le Nom a créé toute chose. Genre: «Que la Terre, les végétaux, les animaux et les humains soient» et nous fûmes.

— Voilà! Le Nom a créé la Vie et de par son existence, la Vie a créé ou plutôt irradié sa Lumière, sa splendeur. C'est vrai, regarde autour de toi: la vie resplendit! De plus, et ça me paraît primordial, le Vide du départ a accueilli la Lumière. S'il ne l'avait pas fait, la Vie n'aurait peut-être pas continué, déclare Patyji.

— Et tout cela, ajouté-je, part de moi. Tout ce que je perçois est ma propre création, mais alors toi? Tu as aussi ta propre création? Comment pouvons-nous exister dans la même création?

Patyji pose son ouvrage et soupire:

— Il fait beau, si on allait se promener?

J'ai compris. Une conversation à la fois. J'ai de quoi occuper mes neurones pour un petit moment avec celle-ci. Nous reprendrons plus tard, quand j'aurai laissé ces notions prendre leur place dans mon corps. C'est mon gourou domestique préféré qui m'enseigne de laisser le temps à n'importe quel enseignement de la vie de pénétrer non pas seulement mon intellect, mais mon être physique tout entier. J'ignore où se pose la connaissance, mais je dirais bien qu'elle se mémorise progressivement dans l'ADN.

— Tu le sens, le réveil de la nature? me demand Patyji alors que nous descendons en direction de la forêt. C'est février, les énergies se remettent en mouvement dans le sous-sol. J'aime beaucoup cette vibration.



jeudi 6 février 2020

Intégration façon Pénélope

Peu après son retour, Patyji s'est lancé dans un patchwork. J'étais bien épatée, un matin, de le trouver occupé à piquer l'aiguille dans des morceaux de tissus. Quand je lui ai demandé ce qu'il faisait, il m'a répondu:

— J'ai vu que pendant mon absence, tu t'es acheté un nouveau lit, plus grand. Il lui manque un couvre-lit de la bonne taille, je me suis dit que j'allais te le faire.

Quand j'ai protesté que c'était super gentil mais  «qu'il ne fallait pas, blablabla....», il a sourit de son grand sourire bienveillant et a rétorqué:

— En fait, c'est aussi pour moi. Après ces mois de voyages et d'enseignements, j'ai besoin d'intériorisation et d'intégration. Occuper mes mains à un loisir créatif permet occupe un peu mon mental et permet ainsi une paisible méditation.

Tout en continuant son ouvrage, il me raconte ses voyages. Il est parti en quête d'éveil et de connaissance. Il a ainsi suivi des stages auprès de gens stimulants, il a rencontré d'autres personnes qui avaient la même soif d'ouverture de conscience. Il revient avec une radiance différente. Ses yeux brillent d'une lumière plus profonde, je le trouve plus serein et plus sage qu'avant son départ.

— J'ai adoré ces voyages, tu sais, j'ai rencontré des gens de bonne volonté et je reviens plein d'espoir pour un futur positif et excitant, c'est pourquoi j'ai été très surpris quand un matin, j'ai eu besoin de revenir à la maison.

Je note intérieurement que «la maison», c'est chez moi et j'en suis heureuse. Il poursuit:

— Ça m'a pris d'un coup, j'ai eu besoin de solitude et de silence. Je me sens vraiment comme la chenille en pleine métamorphose dans son cocon. Tout s'écroule en moi et autour de moi, tout devient nouveau. L'ancien qui s'écroule me fait bizarre, je ne peux m'empêcher de me sentir fragilisé et désorienté, mais le nouveau qui arrive s'annonce avec une splendeur encore jamais vécue et me transporte de joie. J'ai à la fois la terreur de ma vie et une totale confiance, c'est très étrange.

Je dois admettre que confusément, je comprends de quoi il parle. La marche du monde cafouille grave à la surface de la planète, plus personne pour nier que nous vivons une mutation de l'espèce. Que cette mutation soit biologique comme il semble le suggérer n'est finalement pas tellement étonnant.

Tout en assemblant son patchwork, il continue à parler et j'ai le sentiment que c'est autant pour lui que pour moi:

— Le mieux, c'est que j'accepte ce processus que je découvre. J'observe ce qui se passe intérieurement, je vois les énergies bouger. C'est tout un système de communication qui est en train de se métamorphoser. Je perçois mon ADN en train de se modifier, je sens mes cellules dégager un parfum différent, j'entends mon âme chanter mon nom.

— Ton nom, Patyji?

— Oui, et ce n'est pas le nom de ma naissance dans cette vie, c'est le verbe qui est mien depuis le début de ma conscience. C'est un chant, une vibration, une fréquence qui m'est propre comme toi, tu as aussi ton nom. Différent du mien, imprononçable, mais qui est la signature de chacun. C'est le rappel de ce chant qui est à l'œuvre en ce moment.

Il a traîné sur les syllabes du mot, j'entends «chaque un» et je le comprends ainsi: chaque être unique que nous sommes.

Nous restons silencieux tous les deux, en méditation émerveillée quelques instants. Puis il pose son ouvrage, plonge son regard dans le mien, prend une grande inspiration et me demande:

— T'aurais pas envie d'un café, toi?









lundi 3 février 2020

Il est question d'éveil

Patyji est de retour chez moi depuis quelques jours. Avant de partir, il y a déjà plusieurs mois, il s'était longuement ouvert à moi, il avait partagé un peu de sa sagesse et de ses connaissances. Il sait que cette incarnation est sa dernière sur Terre, il a attendu ce siècle pour atteindre sa réalisation.

— C'est quoi, la réalisation, Patyji?

— C'est le grand réveil de l'âme.

S'était ensuivie une longue conversation sur le sujet qui s'était prolongée tard dans la nuit. J'avoue que depuis que je le connais, il m'ouvre des portes intérieures.

Il m'avait alors annoncé qu'il partait à la découverte de l'Europe, il avait envie de rencontrer des gens, vivre des expériences. «Marcher et parler», avait-il dit.

Il est de retour depuis peu et il croustille d'anecdotes plus savoureuses les unes que les autres, notamment concernant ce processus de réalisation qui, il le précise bien, est personnel. Chaque être qui s'est réalisé dans le passé et qui se réalise aujourd'hui vit une aventure unique.

— C'est comme la grossesse, ajoute-t-il.

— Qu'est-ce que tu en sais? lui demandé-je d'un ton narquois.

— Je sais. Je me souviens. J'ai été mère dans plusieurs vies antérieures.

— Sérieux? Tu te souviens de tes vies antérieures?

— Oui, de la même manière dont on se souvient de son enfance, sensuellement. Les souvenirs sont souvent flous dans le mental, mais on se rappelle certaines sensations, des odeurs, des couleurs, des mémoires cellulaires.

Ce matin, il a emprunté ma voiture pour aller faire des courses. Au retour, il me raconte :

— J'arrive aux feux, je m'arrête au vert. Puis le feu orange s'allume, il passe au rouge et je démarre. J'entends une voix hurler dans ma tête: «ROUGE!!!!!!!». Je reviens à moi, je pense: «quoi, rouge...? Ah oui, rouge !!!!» et je freine. J'étais déjà bien engagé dans le carrefour. Personne derrière moi, j'ai reculé et je te jure que j'étais complètement paumé. J'ai eu un moment de grand flottement, j'aurais juré que le feu était bien rouge quand je me suis arrêté. Mon humain s'est convaincu de l'explication rationnelle qu'il devait être vert, mais une autre partie de moi sait que ce feu était rouge, puis orange, puis rouge à nouveau. Franchement, on ne saura jamais, mais tout cela pour dire que c'est le genre de choses qui arrivent quand on traverse ce processus de réalisation. La réalité change autour de soi.

— C'est déconcertant.

— Tu peux le dire. Imagine qu'on vit quelque chose comme la chenille qui devient papillon. Sauf qu'elle est enfermée dans son cocon et ne s'occupe que de se métamorphoser, alors que nous, humains, nous continuons à vivre notre quotidien comme si de rien n'était. Voilà pourquoi parfois tant de maux et de bobos aussi inconfortables qu'incompréhensibles. C'est la mutation. D'autant que depuis peu, il y a un éveil planétaire.

— Euh... ça signifie quoi, exactement?

— Ça signifie qu'il y a un nombre suffisant d'êtres en éveil qui font augmenter le niveau global de conscience. Après, c'est un choix individuel. On peut profiter de ce courant et se laisser emporter sans résister ou on peut choisir de rester endormi.

— Comme Neo dans Matrix, le choix de la pilule rouge ou bleue.

— Voilà. Sauf que bientôt, ce sera difficile de résister parce que la force de l'éveil augmente.

— Oui, mais l'éveil, ça se secoue!

— C'est brutal, oui. Mais magique, aussi!



jeudi 2 janvier 2020

Eve et Adam

Au début était un grand quelque chose. 
La conscience. Parfaite, complète, unifiée.
Inconsciente d'elle-même. 

Un jour, elle fut consciente de cette inconscience et eut envie de changer cela. Les traditions nous disent que «Dieu a voulu contempler sa perfection». On a aussi dit qu'au début était le Verbe et qu'il avait énoncé: «que la lumière soit» et voilà qu'elle fut! La Conscience fut surprise par le son de ce Verbe qu'elle ignorait contenir, son niveau de lucidité n'étant encore qu'une petite chose naissante, mais enfin bon, c'est là que tout a commencé, c'est là que les énergies ont pris vie. Bam! Soudainement, comme un Big Bang.

Trouvant la chose plutôt amusante, la Conscience se fragmenta en petits morceaux éthériques et s'envoya à travers le cosmos pour voir. Nous étions bien loin encore de l'incarnation dans la matière, ces petites plumes légères de conscience furent alors appelées les Anges. Un petit nombre d'entre eux créa un concile pour gérer la communauté: l'Ordre de l'Arc duquel les Archanges sont issus. Tous les anges se mirent à expérimenter les potentiels qu'ils découvraient à chaque moment d'un domaine d'où l'espace et le temps étaient encore absents. Difficile à imaginer de notre point de vue d'humains sur la Terre, mais il suffit de dire que les anges avaient carte blanche pour tout essayer et qu’ils s’y sont mis!

Nous allons nous intéresser ici à deux anges en particulier que la tradition a appelés Adam et Eve mais pour tout dire, leur vrais noms sont imprononçables dans cette réalité. Pour s'approcher de leur vibration, il faudrait les danser, mais c'est une autre histoire. Eve est la manifestation du principe créatif, de l'inventivité et de l'imagination. Adam est au service d'Eve. Eve est le rêve, Adam est la réalisation, le constructeur, le metteur en œuvre, le faiseur. Eve propose, Adam dispose. 

Le boss de l'ordre de l'Arc, l'archange Metatron, CEO de la Conscience en expérimentation, confia à Eve le soin de veiller sur le projet en cours. Dans leur coin de cosmos, Adam et Eve faisaient les fous avec tous les autres anges, expérimentant sans retenue, sans limites. La création était pour le moins chaotique, rien n'était structuré. Imaginez un laboratoire où les scientifiques n'auraient aucun protocole, aucune idée des produits à disposition et se mettraient à mélanger des substances en ignorant tout du résultat. Ça faisait parfois des étincelles et ils observaient, ébahis, le fonctionnement des choses.

Les anges jubilaient de ce qu'ils vivaient, mais au bout d'un moment, certains d'entre eux se mirent à ressentir un malaise. Un ennui, une nostalgie. Ça venait du fait que la Conscience s'était séparée en mille morceaux. Certains de ces morceaux ressentait le vide et aspirait à retrouver le plein. Sauf qu'il n'y avait pas moyen de revenir au point de départ, mais ça, la Conscience ne le savait pas encore. Dans leur tentative de calmer cette douleur, quelques anges découvrirent que prendre le pouvoir sur les autres leur procurait un mieux temporaire, bien que ne soit pas la solution idéale. Ils se mirent alors à expérimenter les jeux de pouvoir dans l’espoir de rendre le bien-être permanent. Inutile de décrire le boxon qui commençait à tout envahir.

L'expérimentation de la Conscience prenait une sale tournure, les énergies se ralentissaient au point de menacer de s'arrêter et de mettre fin  à l'aventure bien avant l'heure. Eve tenta de rétablir l'ordre, de rappeler les anges à la raison, mais il n'y a pas plus libre et ingérable qu'un ange en joyeuse expérimentation. La pauvre essaya tout avec l'aide d'Adam qui faisait ce qu'il pouvait, mais la confusion était telle qu'à un moment, Eve baissa les bras.

— Adam, je renonce. Je ne sais plus quoi faire, je ne suis pas capable, peux-tu prendre le relais?

Adam n'hésita pas, sa passion étant le service, quel qu'il soit, y compris prendre en charge un rôle pour lequel il n'était pas taillé. 

— Je vais le faire, Eve, mais seulement jusqu'au moment où tu te sentiras capable de reprendre ton rôle.

Ce fut l'inversion des pôles masculin et féminin. Pendant qu'Adam faisait tout pour éviter le pire avec des méthodes plus musclées, Eve sombra dans la dépression. Ses belles énergies légères se densifièrent au point qu'elle se retrouva dans la matière. 

De là le mythe de l'ange déchu, mais ce fut surtout la blessure d'Eve.

Toujours à son service, Adam suivit Eve sur Terre où, par la force des choses, ils prirent tous deux la forme d'un corps humain. L'exploration de la Conscience continua désormais aussi dans la densité. Il faut préciser que ce fut un plus, la lenteur de l'expérimentation permettant une meilleure mise en conscience et surtout une mise en mémoire des données.

Un jour, Adam rencontra l'amour. Il fut transporté par ce sentiment si beau, si nouveau, si intense. Il l'apporta à Eve pour qu'elle puisse le ressentir aussi. Or Eve ne fut d'abord pas réceptive à cette énergie. Adam voulut tellement la partager avec elle qu'il tenta mille façons de la lui faire ressentir, l'une d'entre elles étant de pénétrer son corps à elle avec son corps à lui; en vain.

Eve réussit cependant un jour à en avoir un avant-goût et quand elle but à ce nectar, elle comprit que c'était une chose importante et qu'il était indispensable de connaître l'amour de soi pour appréhender et savourer au mieux cette merveilleuse vibration. Elle sut aussi que c’était la voie de sa guérison. Elle repoussa ainsi l'amour que son compagnon voulait lui donner en disant qu'elle allait le chercher en elle, et ce fut la blessure d'Adam.

On connaît la suite: c'est nous. Les egos blessés générèrent encore plus de luttes de pouvoir qui ont continué jusqu'à ce jour, tandis que la Conscience accumulait toujours plus de conscience et de compréhension d'elle-même. 

Depuis peu, il apparaît que nous avons fait le tour de la question et que tout jeu de pouvoir supplémentaire ne serait que répétition. Consciente de ceci, la Conscience est en train de franchir un seuil et se prépare à passer à autre chose. Chaque parcelle d'elle-même a acquis maturité et sagesse. Les Archanges ont rendu leur tablier, les êtres vivants n'ont plus besoin d'être menés, ils sont désormais à même de se mener eux-mêmes. 

De son côté, Eve explore l'amour de soi. Elle a guéri sa blessure, elle est sur le chemin du retour vers Adam pour lui en faire le cadeau. Il lui a montré l'amour; à son tour, elle lui offre l'amour de soi qui est de nature à guérir sa blessure à lui. Elle va pouvoir reprendre son rôle de créatrice et Adam sa passion du service, tous deux débarrassés des jeux de pouvoir qui en corrompaient l'essence. 

Désormais sur Terre, le choix sera tranché. Tous ceux qui n'en ont pas fini avec l'expérimentation du pouvoir et de ses abus vont s'enfoncer dans toujours plus de densité et finiront par disparaître aux yeux de ceux qui font le choix de la liberté et de la réalisation. Ces derniers devront être attentifs à ne pas se laisser piéger par l'envie de sauver leurs semblables et accepter la séparation des chemins car il n'y a pas de bon ou de mauvais choix, juste des choix pris en toute liberté par chacun.

Tout est bien dans toute la création.