Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 27 juin 2014

Implication

TU DEVRAIS ÉCRIRE


Un chapitre écrit avec peine. Mon héroïne souffre, je revis des souffrances à travers elle, une fois de plus, je m’identifie à elle.

Stop! Il s’agit des souffrances l’héroïne et non des miennes. Je respire et je m’extirpe de mon personnage.

Ça circule mieux.

Je reprends à distance en me pénétrant de l’idée qu’elle n’est pas moi et réciproquement. Elle surmonte sa peine et je la marie. Je change les participants. Ce ne sont plus les membres de ma famille, mais des têtes nouvelles que je ne connais pas. Je les habille différemment, tiens, et si je changeais de saison? Oui, je déplace la cérémonie de juillet à un bel été indien d’octobre. C’est encore mieux.

Le flot coule à nouveau.

En rouge. Je la marie en rouge. C’est d’abord un velours rouge qui apparaît sur mon écran intérieur, le même velours que celui de ma robe de Noël quand j’avais onze ans, la première fois que je me suis sentie princesse.

Du lamé! J’ai toujours rêvé d’une robe en lamé. Ça existe, le lamé rouge? Je google «lamé rouge» sur le web à la recherche d’images. Woah! Des splendeurs! Cramoisi. Il sera cramoisi, le lamé de la robe de l’héroïne. Je la fais sexy, cette robe. Une robe …bustier — Voilà, je ne trouvais pas le mot. Une «robe-bustier». Je corrige la description alambiquée que j’avais écrite faute d’avoir trouvé le terme qui m’échappait, et je modifie une ou deux phrases.

Elle s’avance vers son homme, je la fais féminine et sensuelle, cette femme en lamé cramoisi, après tout, le mariage, c’est aussi horizontal. Elle est belle, la mariée du jour. Pas de soutien à cette gorge encore jeune et un décolleté qui suggère toujours une belle capacité aux galipettes. C’est elle, soudain, qui me souffle de lui retirer sa culotte. Je l’imagine au dernier moment, virer cette unique pièce de sous-vêtement, sinon, elle aurait porté un body, c’est sûr, parce que sous du lamé, le moindre sous-vêtement doit se voir. Tiens, au fait, je n’en sais rien. J’ajoute mentalement «me payer une robe en lamé» sur la liste de mes envies. Je n’épilogue pas sur la nudité sous la robe, le propos du chapitre est la célébration du mariage et non pas la nuit de noces. — Pourtant, c’est tentant et facile à écrire.

J’en étais où? Célébration de mariage. Ils vont dire des choses très belles, ces amoureux. Je veux de l’ample, de l’emphase, du grand. Je veux une célébration originale, je sais que j’ai cela quelque part, dans des textes traditionnels. Je place deux astérisques dans mon texte pour me rappeler que je veux chercher ces références. Pas maintenant, je veux aller au bout de mon inspiration, j’étofferai plus tard. Je décris encore les invités, j’ajoute un élément de décor. Je fais avancer la promise vers son homme. La scène est très réussie, je me prends à mon récit, j’en suis toute émue. Et contente de moi, j’ai bien travaillé.

Bon, et après?

Un bruit de klaxon me ramène à la réalité. Je regarde l’heure, il est sept heures. J’ai été réveillée à cinq heures par une ruche d’idées qui vrombissait dans ma tête. L’écriture était là, alors de mon lit, j’ai attrapé l’ordinateur portable et j’ai laissé couler les mots, les jambes au chaud sous la couette et la fenêtre encore ouverte sur un petit matin frisquet. Je bâille. Je repiquerais bien un petit somme. Dehors, la circulation s’intensifie, ce sont les premiers pendulaires. Le soleil pointe. Je sauvegarde mon texte. Je vais me faire un café et ouvrir ma messagerie. C’est lundi, une autre journée et une autre semaine commencent.

Sans me retourner, j’ai abandonné dans une forêt une femme en lamé rouge et un homme en toge blanche, face à face au milieu d’un cercle d’invités tous couronnés de lierre, attendant que commence une cérémonie de mariage selon le rite celtique. J’espère pour eux qu’il ne pleuvra pas.
J’ai laissé également des coquilles, le logiciel me les souligne en rouge et les fautes de grammaire soulignées vert.

Je relis, je vois que j’ai écrit: soulignées vert. Je rajoute en. Ça donne : Le logiciel me les souligne en rouge et les fautes de grammaire soulignées en vert. Cette phrase ne va pas, mais mon mental est saturé. Tant pis, je corrigerai la prochaine fois.


lundi 23 juin 2014

Dégel

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Enfin!

Mon héroïne est sortie de son marasme. Ne voulant pas revivre les miens en me mettant dans sa peau, j’ai lâché trois phrases résumant qu’elle traversait une épreuve afin de contourner l’obstacle. À relecture, je me suis rendue compte qu’une ellipse est parfois bien plus éloquente qu’un paragraphe fouillé. Je l’ai alors embarquée dans la suite de son aventure et j’ai écrit quelques bonnes pages.

Et puis je suis allée me balader au soleil pour mieux réfléchir. Je cherchais dans ma panoplie de personnages un hurluberlu à insérer dans mon récit. C’est alors que, en traversant le parc public, je vois arriver un homme sur un vélo, plutôt beau mec. Un catogan poivre et sel, un visage avenant, un teint bronzé et des yeux du même azur prometteur que le ciel printanier du jour.

Les secondes suivantes passent au ralenti, les cheveux au vent et je crois même qu’il y a des violons. Ou de la harpe, je ne suis pas sûre. Dans le même instant, je reconnais l’homme, mon cœur s’ouvre, mon visage s’éclaire d’une expression joyeuse et j’articule un cordial «hello». Il fait de même, mais son «hello»  s’éraille à la fin, tout comme le mien quand nous nous souvenons que nous sommes fâchés. Il a déjà passé, moi aussi, et un grand rire monte en moi.

C’est Alain, l’homme qui inspire Maurice, le gourou de mon roman. Nous étions amis et puis nous ne l’avons plus été. Mesquines bisbilles et méchantes billevesées. J’étais très en colère contre lui, c’était il y a très longtemps. L’eau a coulé sous les ponts et j’ai une mauvaise mémoire pour mes rancœurs. Des âges que je ne l’avais pas croisé dans le quartier, je l’ai reconnu juste avant de me rappeler que je le snobais. Lui aussi, manifestement, et vu la joie avec laquelle on s’est salué, on dirait qu’on s’aime toujours.

Nos cœurs sont plus sincères que nous.

A-t-il capté que je pensais à lui en écrivant et la loi de l’attraction aura fait le reste? La vie a le sens de l’humour.

Grâce à cette amusante coïncidence, le soir même, j’écris encore quelques bonnes pages. À quoi ça tient, l'inspiration…




vendredi 20 juin 2014

Existence

LES CONSULTATIONS DE PATYJI

Ce vendredi, c’est un homme d’une cinquantaine d’années qui vient consulter Patyji. Il est très déprimé.

— Grand Patyji très sage, je suis tellement déprimé que je veux mourir pour trouver la paix.
— Petit Padawan ignorant, c’est stupide et inutile, la mort n’arrange rien et tu ne trouverais pas la paix.
— Patyji pas sympa et pas rassurant, ce n’est pas rassurant, ce que tu me dis là.
— Padawan apprécié, peut-être, mais c’est la vérité. Il ne suffit pas de passer dans une autre pièce pour que les problèmes soient résolus. J’ai répondu à ta question.

Il paye la consultation — deux balles — et je lui articule quelques mots d’encouragements, car je ne suis pas sûre que Patyji lui ait vraiment remonté le moral. Il s’en va.

Il revient le lendemain, Patyji l’a au moins convaincu de la vanité d’un geste définitif. Il est manifestement toujours en vie, moins déprimé parce qu’hautement perplexe.

— Patyji, grand sage un peu hermétique, que dois-je faire alors pour trouver la paix?
— Padawan mieux sur la voie, voici une bonne question. La paix est en toi, elle y existe avec les peurs, les douleurs et les angoisses. À toi de te rendre dans l’endroit paisible en toi.
— Immense Patyji, as-tu la recette pour cela?
— Oui, il suffit de le décider. J’ai répondu à ta question.

L’homme reste silencieux, immobile et toujours lourd de peine. Comme il ne s’en va pas, Patyji ajoute:

— Pour t’aider à trouver le chemin de ta paix intérieure, laisse-moi cependant t’expliquer qui tu es dans la création. Imagine que l’univers soit une plage faite de milliards de milliards de grain de sable multicolores. Chacun de ces grains de sable représente un être particulier, tu es l’un de ces grains de sable et ta couleur est unique. Tu es une parcelle de conscience et toi seul observe l’univers de ce point de vue-là. De plus, et rares sont les êtres qui en sont conscients, toutes les êtres vivants sont reliées et échangent des informations. C’est pourquoi tout a une raison d'être, tout est toujours bien dans toute la création.

L’homme s’en va en marmonnant « toujours bien, toujours bien, il en a de bonnes, lui ».

jeudi 19 juin 2014

Travail

L’écriture, c’est un jet inspiré, mais c’est aussi — et peut-être surtout — du travail. Une fois l’histoire racontée, je tâche de l’oublier puis, après une pause, je me relis et découvre mon propre récit.

Je constate que j’ai sauté trop vite d’une situation à l’autre, le lecteur ne peut pas suivre. Il s’agit alors de lier les événements et d’être un peu plus généreuse en descriptions. Les images dans ma tête sont claires et complètes, mais en attendant que la télépathie soit généralisée, je dois encore prendre la peine de les transcrire.

Pas trop de détails non plus, je veux laisser à la discrétion du lecteur le choix des meubles dans une pièce, par exemple. Car qu’est-ce que ça peut bien faire que le fauteuil sur lequel le héros lit la plus belle lettre d’amour de sa vie soit en cuir rouge ou en taffetas bleu? — Encore que je placerais bien le mot «taffetas» quelque part, c’est un mot rigolo.

Aujourd’hui, je ne sais pas ce que j’ai, je sèche. Je fais de la bouillie. Je défais ce que j’avais fait et ce que je fais n'est pas satisfait. Je m’oblige à stopper, parce que ça devient de l’auto-destruction.

Je me programme pour un autre jour en avertissant l’état-major: «Je te préviens, je t’aurai prévenu, trouve les ressources, parce que ça prendre le temps que ça prendra, mais j’irai jusqu’au bout!»

L’écriture, c’est comme tout travail, il y a des jours où l’humeur n’y est pas.




dimanche 15 juin 2014

…et panne

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Trois jours que je me bouscule pour m’y remettre.

Rien à faire.

Je noircis des pages d’analyse à deux balles pour comprendre ce qui me paralyse. Je passe en revue des vieux schémas, des vieux ressorts, des trait de caractère pénalisants, comme la paresse, par exemple. Je suis une feignante notoire, j’adore ne rien faire. Donnez-moi une plage au soleil, un transat et des cocktails fruités, et je ne bouge plus, moi.

Pourtant, l’envie est là. Camouflée derrière des peurs — identifiées et en cours de déblaiement, non identifiées et en cours d’identification — ou repoussée derrière des impératifs alimentaires. En attendant d’encaisser des royalties faramineuses, je dois aller au charbon autrement.

Je ne veux pas laisser moisir ce projet, je me le suis juré. Dans les peurs, il y a celle de renoncer une fois de plus. Je ne voudrais pas mourir en ayant omis de me donner une chance. Et que personne ne vienne me dire que l’heure de ma mort n’a pas encore sonné, car qu’en sait-on ? — Une autre peur à affronter, celle de mourir demain avec ce sentiment de non-accomplissement.

J’ai envie d’écrire, j’ai soif de création, mais quelqu’un est debout sur la pédale des freins.

Tant pis, j’écris au sujet de la panne de l’écrivain.

Et toc!





mercredi 11 juin 2014

Peurs

TU DEVRAIS ÉCRIRE


Il a un enjeu à aller au bout de la création. La peur de s’exposer au jugement des autres, en premier lieu. «Et si ça ne leur plaisait pas?»

Je ne sais pas exactement quand, mais la haute autorité en moi a décidé de prendre cette peur par la main et d’aller jusqu’au bout. Écrire un roman jusqu’au mot «fin». Ça vaudra ce que ça vaudra et ça prendra le temps que ça prendra, mais je publierai un livre. C’est dit.

Après, si le monde n’a pas d’appétit pour lui, tant pis. Je saurai ne pas en faire un échec.

Je crois.

Mais pour l’heure, ce talent qui ne s’exprime pas finira par me flétrir, je sens le danger.

Et puis il y a d’autres peurs, des petites, des grandes, embusquées, enfouies et d’autres plus accessibles, autant d’excellents prétextes pour renoncer, autant de pièges qu’il faudra déjouer.

mardi 10 juin 2014

De la plume à l’enclume

LES CONSULTATIONS DE PATYJI

Ce jeudi, c’est une jeune femme de trente-cinq ans qui vient consulter Patyji. Dans la salle d’attente, elle m’explique qu’il lui arrive une série de coups durs, qu’elle en a marre de cette fatalité qui s’acharne sur elle. Elle voudrait bien savoir pourquoi.

— Grand Patyji très sage, pourquoi est-ce que les tuiles ne cessent de me tomber sur la tête?

— Padawan chérie, voici exactement ce qu’il en est. En fait, au départ, ce n’étaient pas des tuiles mais des plumes d’anges. Assis sur son nuage, ton Ange gardien, dont c’est le job et qui a une bonne vue d’ensemble sur ton chemin de vie, t’envoie un signal d’alarme quand il pense que tu devrais bifurquer. Comme les anges sont des êtres très doux et très bons, la première fois, le tien t’a envoyé une petite plume qu’il a prise dessous son aile, là où c’est le plus doux. Tu ne t’es aperçue de rien et tu as continué ton chemin sans dévier. Tu avançais vite, ce jour-là, tête baissée, happée par tes soucis et tes préoccupations. Ton ange a décidé alors de t’envoyer quelque chose de plus lourd pour attirer ton attention, mais, toujours délicat, il a choisi une noisette. Tu l’as sentie, celle-là, quand elle t’a atteint le crâne et tu t’es dit: «Tiens, une noisette en cette saison?» et puis tu as continué ta route. 

Comme tu ne t’arrêtais toujours pas, ton ange a insisté avec, successivement, un caillou, une tuile et un pot de fleurs. À partir de la tuile, tu as pensé que c’était vraiment pas de chance, ce qui t’arrivait. Le pot de fleurs t’a assomée, rappelle-toi, mais tu n’as toujours pas compris que c’était un appel de l’ange et c’est quand tu as reçu cette enclume que, sur ton lit d’hôpital, ta course enfin arrêtée, tu t’es demandé: «Mais qu’est-ce que c’est que cette enclume qui me tombe dessus?» 

Depuis ce jour, tu te crois victime et tu te demandes pourquoi le sort s’acharne contre toi. Il faut dire que l’enclume t’a fait une méchante bosse qui est douloureuse. Tu trouves des coupables et tout est de la faute des autres. C’est la vie, les parents, l'enfance, le milieu social, le manque de temps ou/et d'argent, ce connard de patron ou cette foutue enclume tombée du ciel on se demande bien comment.

Je te le dis, petite Padawanette, il n’y a pas de victimes. C’est seulement ton ange qui cherche à te parler. Il veut te montrer que tu fais fausse route et que tu peux changer quelque chose à ta vie pour qu’elle s’améliore. Il cherche à te montrer une meilleure voie.

Alors la prochaine fois que tu vois une petite plume danser devant ton nez, considère-là comme un signe de ton ange et accepte la communication avant que ton ange ne soit obligé de te sonner avec une enclume.


Ange via Ana Bozic

samedi 7 juin 2014

Solitude

LES CONSULTATIONS DE PATYJI

Lundi, Patyji reçoit un homme d'un âge certain qui souffre de la solitude. 

— Patyji, grand sage, pourquoi est-ce que je suis si seul?
— L’es-tu vraiment, petit Padawan?
— Patyji, que veux-tu dire?
— Regarde autour de toi, es-tu vraiment seul? N’as-tu aucun voisin, aucune famille, aucun ami? 
— Si, bien sûr, mais je me sens seul quand même.
— C’est autre chose. Se sentir seul n’est pas être seul. J’ai répondu à ta question.

L'homme part un peu dépité, j'encaisse le prix de la consultation. Il me dit: 

— C'est vraiment une consultation à deux balles.

Il revient deux jours plus tard, car il ne se sent pas satisfait de la réponse, et surtout, il se sent toujours aussi seul.

— Patyji, grand sage, pourquoi est-ce que je me sens si seul?
— Petit Padawan de lundi dernier, qu’est-ce que la solitude?
— Patyji, réponds-tu toujours à une question par une autre question?
— Oui, minuscule Padawan, parce que la réponse se trouve dans la bonne question et que tu ne poses pas les bonnes questions. Je vais donc t'aider. Ta bonne question est: quel est au juste ce sentiment que je ressens?
— Et la réponse?
— C’est à toi de me la donner.
— Tu es dur Patyji, je viens chercher des réponses, pas des questions.
— Oui, mais les réponses sont en toi. J'ai répondu à ta question.

L'homme paye la consultation avec un peu moins de mauvaise grâce, mais il n'est toujours pas satisfait. Il revient vendredi.

— Patijy, ô pas tellement grand sage, je sais pourquoi je me sens seul, c'est parce que personne ne vient me voir.
— Personne? Vraiment? Il me semble que ton fils vient te voir une fois par semaine, ta voisine vient souvent frapper à ta porte et une infirmière vient te donner des soins.

Patijy a des dons de voyance étonnants et on ne peut pas lui mentir. Il lit dans votre âme.

— Oui, mais à part eux, personne; et eux, ils n’ont jamais le temps de rester et de parler.
— De parler de quoi?
— Je ne sais pas, de tout, de moi.
— Te sentirais-tu moins seul si tu pouvais parler de toi?
— Oui.
— Pourquoi ne vas-tu pas consulter un psy? 
— Tu te moques de moi, Patyji.
— Non, mon cher Padawan, je veux te faire comprendre quel est exactement le sentiment que tu ressens. C’est du vide, car la solitude n’existe pas. Regarde autour de toi, il y a du monde partout, personne n'est jamais seul. Avant de consulter en Occident, j'ai passé quinze ans dans une caverne dans les montagnes du Cashmere et jamais je ne me suis senti seul. Comment peux-tu expliquer cela? Si c’est ta solitude au quotidien que tu veux briser, inscris-toi à un cours de poterie ou de bridge ou à un club de rencontre. Branche-toi sur internet, il y a pléthore de forums où tu peux parler et échanger. Mais est-ce vraiment ce que tu veux ou est-ce que ce qui t'intéresse, c'est de parler de toi? Reconnais que tu n’as pas d’intérêt pour les autres, que tu recherches leur attention. Tu veux qu’on vienne te voir, mais tu ne vas pas aux autres. Tu veux qu’on t’appelle au téléphone, mais tu n’appelles jamais. Alors tu te plains et tu fais des reproches. Le résultat est que tu deviens amer et que personne n’a envie de venir te voir. Je ne te dis pas cela pour que tu te sentes encore plus mal, mais pour que tu comprennes ce qui est à changer en toi pour que ce sentiment puisse disparaître. J'ai répondu à ta question.

L'homme est secoué. La franchise de Patyji ne lui fait pas plaisir. Il paye les deux balles et s'en va en boudant. On ne le revoit pas pendant dix jours. Le mercredi de la semaine d'après, il revient, car les questions appellent d'autres questions.

— Grand sage Patyji, alors, c’est quoi, ce vide?
— Voilà une bonne question. Ce vide que tu n’es largement pas le seul à ressentir, il varie d’une personne à l’autre et d’une fois à l’autre, mais fondamentalement, c’est un manque d’amour. Ce n’est pas que personne ne t’aime, car il y a plein de gens qui t'aiment, mais tu ne le vois pas car toi, tu ne t’aimes pas. Tu reproches aux autres ce que tu te reproches à toi-même.

L'homme reste un moment silencieux, Patyji vient de lui quelque chose qui sonne juste en lui.

— Tu as raison, Patyji, je suis une horrible personne.
— Mais non, justement. Tu es un être merveilleux. Et si tu pouvais commencer à le voir, tu te sentirais nettement moins seul. J'ai répondu à ta question.





En vie

Ne sachant pas très bien par où commencer, je reprends un ancien journal. Il y a quelques décennies —non, j’exagère, deux, tout au plus—, mon chemin de vie m’avait amenée dans un stage d’évolution personnelle. C’étaient alors les premiers du genre et il y avait matière à témoigner.

J’avais posé par écrit mes réflexions et mes émotions pour y voir clair, dans un premier temps, mais aussi pour en graver le souvenir dans le détail, car l’expérience fut marquante et enrichissante. Une galerie de portraits remarquables.

Je relis mon texte. Non seulement il est ennuyeux, mais il est bien trop intime. En revanche, l’adage selon lequel la réalité dépasse la fiction est une fois de plus validé. J’ai bien faire d’écrire, je ne me souvenais pas que nous étions aussi allumés.

C’est parti. J’édite mon texte dans une application de traitement de texte. Je le reprends, je rajoute du contexte, des descriptions, des couleurs, des odeurs et des sentiments. Je retire le pathos, le trivial, les anecdotes insipides et je pille le dictionnaire des synonymes.

Je m’efforce de sortir de ma peau et de prendre prends du recul par rapport à mon vécu pour mieux incarner les personnages. Je profite pour en inventer de nouveaux et forcer le trait pour ajouter de l’humour. Mon récit m’embarque, ça coule tout seul. Je prends un plaisir fou !

Dans une vie précédente, j’étais artiste et je retrouve la même vibration. La même «en-vie» qui émane du ventre, le désir d’exprimer quelque chose, tel l’enfant qui saisit un papier et ses crayons de couleur et qui déclare «je vais faire un dessin». Je retrouve le processus créatif qui suit le même cours.

À l’origine, donc, ce désir. L’envie qui prend vie. Et puis l’hésitation devant la première page blanche — métaphore littéraire pour expliquer l’infini des possibilités, mais qui se retrouve aussi chez le peintre, c’est alors la «toile blanche»; et chez le potier, c’est... la «terre blanche» ? Non, je ne crois pas mais je m’égare déjà. Mon mental est un étalon fou que je vais devoir dompter.

C’est le moment du choix. Quel dessin, quelle peinture, quelle sculpture, quels mots vais-je modeler?
L’inspiration est une manne dont la source est mystérieuse, à la fois au plus profond de soi, aux confins du cosmos et partout autour. À moins qu’elle ne soit encodée quelque part dans la création et qu’une magie en rende l’accès possible. C’est de toute façon une collaboration, une connexion avec une mémoire universelle, une sorte de banque de données collective. Je trouve mal les mots pour le dire. 

Quand le contact est établi, la porte s’ouvre et laisse passer flot créatif. La clef de contact c’est l’envie. Tant pis, je me répète, mais c’est important. Je tape en vitesse sur mon clavier, car les idées se bousculent. Étrange moment de canalisation pendant lequel cette source dicte les mots. Les fautes de frappe sont multiples, tant pis, je corrigerai tout à l’heure. J’oublie une négation car la pensée va bien plus vite que les doigts. — Et pourtant, ils vont vite, mes doigts, j’ai appris la dactylographie quand c’était encore un métier.

Je noircis quatre-vingts pages en un rien de temps. Depuis un moment déjà, ce n’est plus moi qui écris, c’est mon héroïne. Il y a un peu de moi en elle, bien sûr, peut-on exprimer autre chose que ce qu’on connaît? Je stoppe à une croisée des chemins. Quelle est la suite logique? J’attrape la première idée qui me vient et je l’élabore, laissant se dérouler ce plaisant fil d’Ariane. 

Je dépasse la centaine de pages. Si j’avais su, j’aurais fait ça plus tôt. L’histoire arrive aisément, les personnages ont leur vie propre, on dirait qu’ils me chuchotent la suite. Mon plaisir est aussi grand que ma surprise.

L’autre jour, un des personnages a changé de nom. C’est un homme à la fois inspiré et arrogant qui se prend pour un gourou. Je voulais qu’il ait un nom ridicule à l’instar de celui du messie cosmoplanétaire de la secte Mandarom, il y a quelques années. Il s’appelait Gilbert Bourdin. «Un nom de charcutier» avais-je alors pensé. 

J’avais donc choisi le prénom très commun de «Robert» pour mon gourou. Et puis à un moment, dans le récit, Robert va trop loin. «Il pousse le bouchon», pensé-je. Et là, prise de rire, je change son prénom pour Maurice, et je fais dire à son interlocuteur : «Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice».

Après cela, la panne de l’écrivain. Logiquement, ça devrait aller mal pour l’héroïne mais je n’ai pas l’humeur à la tragédie pour l’instant.

Je lève ma plume et laisse sécher l’encre.