Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

dimanche 25 septembre 2011

21 décembre 2012, 21h12


Le calendrier maya faisait couler beaucoup d'encre. Ou plutôt: il agitait des masses de pixels sur les écrans numériques, l'encre n'étant plus guère utilisée pour communiquer.

La croyance générale en fixait la fin au 21 décembre 2012 avec comme intitulé d'agenda: "fin du monde". C'était une manipulation habile de la part d'une minorité de gens pour distraire la masse de ce qui était réellement en train de se passer. On abusait de la crédulité des innocents, on focalisait leur attention sur des prophéties inquiétantes générant des peurs qui les maintenaient dans la paralysie. D'autres s'agitaient: certains construisaient des abris et engrangeaient des vivres, d'autres produisaient des films à gros budget, une partie réfléchissait à des solutions généreuses et collectives —sans grand succès—, mais la grande majorité faisait l'autruche, tenant ainsi illusoirement la peur à distance.

Le plan se déroulait dans les coulisses. En fait, le calendrier se terminait le 28 octobre 2011, pour autant qu'on puisse y mettre une date buttoir. Il s'agissait tout simplement d'un événement cosmique que les radars d'une certaine technologie avaient réussi à détecter, ainsi que les antennes intuitives des humains à l'écoute de leur corps. C'était, entre autres, une vague de vents solaires qui irradiait ce coin de cosmos. On se doutait qu'elle n'allait pas être sans effets sur la vie, mais on n'avait pas les moyens de déterminer lesquels. On avait observé les effets des premiers jours, en 1987, et constaté que la fréquence et le magnétisme terrestres étaient complètement bouleversés.

Un des effets inattendus pour un certain groupe de personnes malveillantes fut la destruction d'une technologie néfaste de contrôle mental. À nouveau libérée, la conscience évoluait. Vite. Les gens se posaient des questions existentielles et redonnaient un sens à leur vie autre que l'accumulation de biens inutiles et la satisfaction de besoins compulsifs.

Ceux-là avaient vite lâché toute controverses au sujet de cette fin du monde. Ils percevaient qu'une profonde mutation était en cours et profitaient du momentum. Les choses changeaient à la racine. Quand un tsuami arrive, personne ne tente de l'arrêter, ceux qui refusent de le voir sont des sots, les autres quittent la plage et trouvent un refuge sur les hauteurs. Cette vague-là, c'était bien plus qu'un tsunami: après son passage, les choses ne seraient plus jamais pareilles, c'était évident. D'ailleurs, les prophéties le disaient depuis des âges, on comprenait enfin de quoi on parlait depuis tout ce temps.

Cette communauté ne savait pas qu'elle était rassemblée. Les gens faisaient de leur côté ce qu'ils croyaient qui était le mieux. Ils enracinaient leurs convictions intérieurement, puis partageaient leur confiance, leur vision. Ils changeaient leur vie, soit brutalement, soit petit à petit, un peu malgré eux. Ils quittaient le système en place et réinventaient la solidarité. Aucune structure précise ne se mettait en place, seulement une vibration et une intention communes: le désir de paix.

Cette vague-là ajoutée à celle qui frappait la planète était en train de changer fondamentalement la vie sur cette planète.

Quand Shamain 2011 arriva, il y avait sur Terre un nombre significatifs de gens qui aspiraient à la même chose. Après cette date, la négativité ne fut plus possible. Les basses intentions, les instincts pervers, l'égoïsme et jusqu'au langage grossier devinrent douloureux. Physiquement. Le corps humain avait muté, pendant ces dernières années de voyage de la conscience incarnée, au point de ne plus supporter les basses vibrations. Les intentions ne purent faire autrement que de s'élever.

Ce jour-là, ce fut la fin du monde de la peur, la vibration n'étant plus possible à cette fréquence. —Non, en fait, ce fut réellement le 31 octobre que la bascule eut lieu, mais le cosmos se fiche des dates humaines. C'était juste une co-création "clin d'oeil" de l'humanité pour elle-même que la peur disparaisse le jour même d'Halloween.

Le 21 décembre 2012 à 21h12, quand le puissant alignement planétaire eut lieu, ce fut un grand coup d'accélérateur pour la société qui se mettait en place depuis un an, les gens enfin à l'oeuvre ensemble pour le bien de tous et de chacun. Les dernières autruches sortaient la tête du sable, les derniers malfaisants disparaissaient, soit en mourant, soit en rejoignant la lumière. L'humanité était enfin prête pour la grande rencontre fraternelle galactique qui eut lieu ce jour-là dans une ivresse de joie peu commune.

Le 21 décembre 2012, on célébra le solstice et l'alignement planétaire sur la Lune: on y avait une meilleure vue d'ensemble.

Ce fut aussi la dernière fois qu'on donna une date à un jour terrestre. Les mayas le savaient, c'est pourquoi leur calendrier s'arrête à cette date.


samedi 24 septembre 2011

La fin du monde


La crise avait exacerbé les peurs, et la peur est toujours mauvaise conseillère, c'était bien le résultat escompté. Au sommet, ils étaient ivres de satisfaction, de suffisance et de pouvoir. Rien n'allait les arrêter, ils étaient les maîtres du monde. La masse ignorait tout de tout, ils avaient gardé les avancées technologiques les plus performantes pour eux et caché la connaissance. «S'ils savaient, ces pauvres idiots, tout ce qui était possible à ce jour!». Pauvres naïfs dont la bonté les empêchaient de voir le mal.

Ils étaient arrivés là grâce à des alliances au noir, des collaborations occultes. C'était une fraternité diabolique qui avançait de conserve et acquérait toujours plus de puissance. Ils détenaient tous les fils du pouvoir, ces marionnettistes suprêmes. Ils avaient compris de longue date les mystères de la vie et leur premier accomplissement, une règle indispensable: tenir la population dans la plus grande ignorance de ces secrets. C'était leur plus grande fierté que celle d'avoir réussi à convaincre des populations entières que l'humain se trouvait dans un état de survie permanent. Le plus grand piège dans lequel tous étaient tombés fut faire croire qu'il n'y avait pas assez à manger pour tous sur cette gigantesque planète opulente. Ils vivaient au milieu des cultures et des élevages, et ils avaient faim. Quel gag! Cette chose-là les faisaient toujours autant rire et générait encore plus leur mépris pour les humains, eux qui ne l'étaient pas.

Ils étaient absolument sûrs de leur victoire, tout en ignorant leur but, car il n'y avait aucun autre plan que "plus de pouvoir". Ce qui était un plan stupide, dénuée de toute intelligence. Ces êtres-là n'étaient pas intelligents, seulement malins et compulsifs, leur dessein commun était de dresser la masse les uns contres les autres. C'était un petit groupe d'illusionnistes qui maintenaient le mensonge: tout et n'importe quoi pour éviter que les gens ne se rassemblent et prennent conscience de leurs capacités. Ils n'avaient aucune vision à long terme, juste des plans B, puis C, puis D… à mesure que les plans A s'épuisaient.

La seule vraie stratégie était de maintenir la peur et c'était si facile! Dès qu'ils avaient peur, ces animaux humains, ils se cachaient, se privaient, se méfiaient de leurs voisins, c'était un jeu d'enfant de les manipuler alors. Comme c'était drôle, et comme c'était rassasiant, ce pouvoir global! Le moindre foyer de colère leur était un festin de roi! C'était là leur soif et leur plus haute satisfaction: la négativité les maintenait en vie et les dopait.

Ils étaient rassemblés dans la même compulsion qui les menaient, leur loyauté allait à celui qui servait le plus immédiatement leur sombres desseins. Cette douteuse fraternité n'était qu'égoïsme à son paroxysme, on scellait des alliances ponctuelles dans le seul but de l'emporter sur la masse ignorante. C'était une meute de loups qui n'allait pas tarder à s'entre-dévorer, la trahison étant une nourriture des plus raffinées à leur banquet satanique.

Ils ne pouvaient pas comprendre, ces êtres dénués d'intelligence, que leur victoire était leur perte. À vouloir toujours plus de pouvoir sur l'autre, on finit par détruire ses proches, comment peut-il en être autrement? Pour demeurer seul au sommet, il fallait éliminer toute concurrence. Ils étaient incapables de partage, l'amour était leur poison. Ils avaient soif de haine.

Leur mépris grandissant, ils ne prenaient plus la peine de se cacher. Ces pauvres imbéciles gobaient tout, on y allait de plus en plus carrément. Le soit-disant terroriste kamikaze écrasait un avion détourné sur les tours avec ses papiers d'identité sur lui. On ne retrouvait pas une once de sa dépouille, mais son passeport était retrouvé intact sur les gravats. Comme ils avaient ri, ce jour-là!

Grâce à cela, la population ouvrait les yeux, constatait que ceux qui avaient le pouvoir ne l'utilisaient pas pour le bien de la communauté. Un peu hébétés, étonnés peut-être de n'avoir pas compris plus vite, ils avaient vite constaté que la rage et la haine ne faisaient que renforcer le pouvoir de la sombre élite. Il fallait trouver une autre solution.

Ensemble.
La notion faisait son chemin dans les consciences. Il fallait écarter la peur de son voisin, retrouver la confiance, et ensemble, faire basculer les choses. Reprendre son pouvoir individuel, mais pas sur les autres. Son pouvoir de décision, son pouvoir de création. Et puis ensemble, en masse, avancer vers le sommet. Les grignoter par le bas, en les aimant, en émanant amour et lumière. En les privant de leur nourriture préférée —la haine— en ne cédant pas aux bas instincts. Pas facile, car on en était arrivé à se méfier de tous, surtout de ses plus proches. On était devenu cynique, on scandait des mantras paralysants: "ça ne changera jamais, l'homme sera toujours un loup pour l'homme". Encore une de «leurs» programmations, encore une de leurs victoires.

Ensemble. Le concept se construisait. La vibration était nouvelle —ou très ancienne—, elle était surtout naturelle à cet être conçu pour incarner l'amour.

Ensemble, ce n'était pas nier son individualité le temps d'une guerre en uniforme pour emporter une victoire dont les bénéfices allaient nous échapper, et les dommages nous marquer à vie. C'était leur notion à «eux», une illusion, une manipulation de plus.

Ensemble, c'était engager son être tout entier dans une création collective fructueuse, mettre ses talents au service d'un projet commun où les génies se stimulent mutuellement et où le résultat final dépasse les imaginations individuelles les plus folles. Chacun y trouvant largement son compte, et plus encore, la société devenait enfin source de bonheur.

Ensemble. Le mouvement était lancé, le tsunami allait tout balayer.
Ensemble, ils reprenaient leurs pouvoirs et créaient un monde de beauté et de bonté, et cette bonté affamait les loups.

Les loups hurlaient, paniqués. Dans un sursaut désespéré, ils se nourrissaient de leur propre angoisse, de leur propre sang. Les loups, dans leur agonie, faisaient, sans le vouloir, un grand cadeau aux humains. La volonté de les séparer avait eu l'effet contraire: les humaines se rassemblaient dans une confiance retrouvée, dans une fraternité oubliée, il créaient une une solidarité fertile encore jamais expérimentée.

Trois jours de noirceur pour ceux qui ne savaient pas vouloir autre chose que le pouvoir. Trois jours de désintégration physique, leur corps ne résistant au taux vibratoire qui s'élevait en flèche. Quand ils furent en cendres, un vent souffla qui les dispersa.

Ce fut la fin du monde des loups.
On était le 21 décembre 2012



vendredi 23 septembre 2011

Elenin

L'objet est constitué d'une matière non détectable par la technologie terrienne, il va frôler la planète. Quelques dizaines de milliers de kilomètres, c'est rien à l'échelle du cosmos. Du moins, d'après les références des êtres vivants sur cette planète, la réalité globale du cosmos leur échappant totalement à leur entendement actuel.

La grande majorité de la population ne sait rien. Une minorité est au courant qu'une comète ou une naine brune se rapproche, et oscille entre angoisse et espoir. On parle de fin du monde depuis quelques années, on vit des temps d'apocalypse, le système s'effondre. Curieusement, la panique ne vient pas. Des foyers ponctuels, çà et là, des gens qui craquent, des dépressions un peu partout, mais pas de grands mouvement de rage ou de colère. De l'indignation, du ras le bol, mais pas de révolution sanglante, c'est un lent réveil, la plupart s'accrochant encore au connu, refusant de voir ce qui se passe. Depuis deux ou trois jours, la tension générale monte encore. C'est pleine lune, c'est l'équinoxe, c'est la crise ou c'est ma belle-mère, bref, partout les gens sont énervés.

Elenin a passé au plus proche de la planète, elle est repartie, trajectoire déviée par l'attraction des masses. Elle a laissé sa robe cosmique en cadeau à l'atmosphère terrestre. Une pluie de particules se répand silencieusement sur la Terre dont les habitants ne se doutent de rien.

Quand l'averse cosmique atteint le sol de la planète, une semaine plus tard, c'est le choc! La matière Elenin, lorsqu'elle entre en contact avec la croûte terrestre, produit une réaction alchimique qui détruit l'électro-magnétisme et provoque d'autres effets qui échappent aux compétences humaines. En quelques heures dans le monde entier, l'électricité est coupée et les mémoires effacées. Mémoires informatiques, mais aussi les mémoires biologiques. Le taux vibratoire crève le plafond, provoquant douleurs physiques et mentales. C'est un long spasme planétaire, une dernière contraction qui délivre un monde nouveau.

Ceux qui percevait cette notion sont émerveillés. Le voile se déchire, ils voient enfin la splendeur de la réalité avec des yeux douloureux et un cerveau enflammé par ce soudain changement physique. Les larmes de joie apaisent ce feu et l'amour enfin libéré guérit le reste en quelques heures. Ils se voient les uns les autres.

Certains qui tenaient une arme la lâchent, n'ayant aucune mémoire de la raison pour laquelle ils la tiennent entre leurs mains. C'est à peine s'ils savent ce que c'est, l'oubli va vite. En revanche, la vibration du métal et de la forme de l'arme chargée des intentions meurtrières qui l'a fabriquée est telle qu'elle leur fait horreur. Les mains vides après l'avoir rejetée avec dégoût, ils l'ont déjà oubliée. Ils ne voient plus que des frères humains autour d'eux, enveloppés de leur aura capiteuse. Leurs coeurs se gonflent d'un amour qui leur coupe le souffle, submergés de bien-être.

En quelques heures, la métamorphose fait le tour de la planète. La mémoire magnétique effacée, il ne reste que la mémoire vibratoire inscrite dans les cellules. La mémoire collective du monde, la mémoire personnelle des leçons de vie apprises au cours des multiples incarnations, celle qu'on a appelée la génétique. En quelques heures, la guerre s'arrête, on a oublié la raison pour laquelle on la livrait, les peurs disparaissent pour les mêmes raisons. On se sourit, on se rassemble, on s'embrasse.

Quelques-uns, fortement marqués de densité karmique, avides de pouvoir, n'y résistent pas. Leur coeur lâche, ils meurent d'amour.

Car ce qui atteint la Terre ce jour, ce sont des vibrations d'amour de la plus haute fréquence.



mercredi 21 septembre 2011

Gravats


Il a baissé la tête et n'a pas voulu voir.

Hier, le building voisin s'est effondré, provoquant un nuage de poussière âcre qui l'a bousculé dans sa routine, mais aujourd'hui, il est de retour dans ses habitudes, un tas de gravats en plus, un building voisin en moins.

Comme elle est forte, l'habitude, comme elle est rassurante! Il s'y accroche et s'y réfère, c'est grâce à elle qu'il est heureux. C'est l'habitude qui le protège de la peur. Pour ne pas avoir peur, il est donc important que tout événement soit intégré dans sa normalité, car ce qui est normal ne fait pas peur.

Après l'avion dans le building, il y a eu la chasse aux terroristes. C'était rassurant que des gens courageux (pas lui) mettent des habits de couleur uniforme et s'en aillent, loin, chasser le terroriste planqué dans la montagne responsable de l'avion dans le building. Lui pouvait continuer sa routine. Ouf!

Ensuite, il n'a pas bien compris, il y a eu d'autres guerres, loin également. Il sait que la politique lui échappe, à lui citoyen béotien, il laisse faire ceux qui savent. Il va travailler tous les jours contre un salaire qui s'amenuise avec le temps. Quoi? "Pas normal, il devrait plutôt augmenter?"… Si, si, on lui a expliqué que la guerre coûte cher et qu'elle est livrée pour les protéger, lui et sa routine, alors il faut qu'il sacrifie un peu de ses gains pour contribuer à payer les uniformes de couleur uniforme.

Il veut bien, lui, donner un peu, si c'est pour qu'il continue à se sentir en sécurité. Il fait confiance à ceux qui le gouvernent, c'est normal. Il baisse la tête et suit ses habitudes. Il n'a pas peur, il est heureux.

On lui a suggéré de mettre de l'argent en bourse pour s'assurer d'en avoir pour ses vieux jours. Il a trouvé l'idée excellente. L'angoisse du manque et de la vieillesse, à peine générée, s'est éloignée. Il avance ainsi, toujours heureux et confiant. Quand le système monétaire s'est mis à trembler, il a baissé la tête et n'a pas voulu voir. Il ne regarde, en biais, que le cours de ses actions, qui est toujours bon, et c'est bien. Son monde rassurant perdure.

Il avance, tête baissée, sur le trottoir devant le building où se trouve la compagnie qui l'emploie. Il ne sait pas encore que ce matin, à l'aube, la bourse mondiale a collapsé, c'est la banqueroute générale, et son boss a décidé de se passer de ses services…

Il passe à côté des gravats sans les voir, comme tous les matins, dans sa morosité habituelle et si rassurante.

mardi 20 septembre 2011

Mémoire aléatoire


Ce n'est pas tant qu'elle perd la mémoire, mais plutôt : elle lui échappe par moments. Par exemple, impossible de se remémorer le prénom de cette amie fréquentée assidument pendant quelques années qu'elle avait perdu de vue et qu'elle retrouve l'autre jour. Elle se souvient de tout le reste: les heures passées au parc ou dans leurs salons respectifs pendant que leurs enfants jouaient ensemble, les papotages interminables, les échanges de vue, sa philosophie de vie, tout… sauf son prénom!

Deux jours plus tard, elle ne se rappelle plus non plus de certains détails de leur conversation. C'est agaçant, il va faire quoi, son fils, maintenant qu'il a son diplôme? Justement, elles se sont revues à cette occasion: après des méandres de vie, leurs enfants ont suivi la même formation, sanctionnée par le même diplôme et c'est à la cérémonie de remise desdits diplômes qu'elles se revoient.

L'information est là, pas loin, mais elle ne vient pas à la surface. C'est comme si elle était sur un disque dur externe et qu'il ne soit pas branché. Si elle crispe pour s'en rappeler, c'est pire. La mémoire lui échappe encore plus, comme si elle avait une vie propre.

Oui, c'est ça. Sa mémoire est devenue une entité qu'elle ne contrôle plus. Il y a des passerelles avec peut-être des mots de passe, un nouvel "operating system". Les infos non nécessaires au présent sont stockées ailleurs, le firewall infranchissable, allez savoir pourquoi. C'est vrai que… Elle va pouvoir passer sa journée sans cette mémoire. Elle lui reviendra peut-être si elle croise ce jeune. Ou pas… Les pans de mémoire qui lui échappent sont anodins et c'est bien ce qui à la fois l'énerve et la rassure. C'est un mot précis qu'elle ne retrouve plus, mais qu'elle envoie en télépathie, et l'autre le reçoit. On dit "tu vois ce que je veux dire…" et l'autre voit. Elle s'est demandé si…Alzheimer? Non, hé, ho… Beaucoup trop jeune pour cela, et puis elle ne croit pas à cette maladie, mais c'est une autre histoire.

En revanche, elle se retrouve parfois avec des mémoires qui semblent ne pas lui appartenir. Ou alors elles viennent de loin. Très très loin… Ce sont des flashes image accompagnés de vibrations, de sensations. Des odeurs aussi. Souvent délicieuses, parfois immondes. L'autre jour, ça sentait le gaz ou l'essence juste sous son nez. Elle a humé autour d'elle pour trouver la source: nulle part ailleurs que sous son nez. Etrange. Elle capte des parfums de lavande suaves jamais égalés en vrai, des odeurs de vanille ou de cannelle dans des endroits où c'est sûr, rien n'est là pour les dégager: en balade dans une prairie, par exemple, ou en voiture. Ça dure un court instant, et puis plus rien. Un ange qui sent bon a passé…

Au réveil, pendant ces courtes secondes en le sommeil et le retour à la veille, elle "est mémorisée". Un nuage de mémoire l'entoure et se greffe sur la mémoire de ses cellules. Elle se désaltère de ce moment. Son corps alors déborde de son enveloppe physique, et elle retrouve un être plus grand qu'elle, androgyne, complet. Si seulement elle avait le mot de passe pour accéder à toutes ses mémoires! C'est juste la page d'accueil et elle l'est: accueillante. O combien! Les premières fois, cette mémoire était accompagnée d'une douloureuse nostalgie: celle d'un si long oubli.

Repousser le sentiment de frustration devant une porte fermée, repousser toute crispation, sinon la sensation s'évapore instantanément! Elle a la certitude que le contenu de cette mémoire-là est essentiel, bien plus que le prénom de l'amie ou des choix professionnels de son fils. Elle a également la certitude qu'elle va bientôt pouvoir le revêtir, ce manteau de mémoire? Peut-être convient-il de supprimer encore quelques dossiers obsolètes dans sa base de données actuelles. Hé, il n'y a peut-être pas besoin d'un mot de passe, et sur la fenêtre, c'est juste une alerte: "votre disque dur est plein, il n'y a pas assez de place pour enregistrer vos données".

Il lui semble pourtant que depuis quelques mois, une paire d'années, pas plus, les informations avalées par son cerveau ont décuplé. Elle lisait un journal alors, aujourd'hui, c'est l'équivalent de dix ou vingt… Et tout cela fonctionne vraiment comme son ordinateur: un serveur pour stocker les données, un champ de recherche avec mots-clefs, l'affichage des infos demandées. Et parfois, dans la masse de données, impossible de mettre la main sur le prénom de la copine ou le parcours professionnel de son fils. C'est qu'elle avait mal intitulé le dossier, probablement.

En revanche, le manteau de mémoires totales —il lui semble que ce soit cela: accès à une base de données universelle; en tous les cas, accès à la mémoire complète de son âme, celle de toutes ses incarnations— ne fonctionne pas du tout ainsi. C'est une mémoire non plus mentale, mais vibratoire qui passe par l'intuition. Comment dire…? C'est une mémoire qui agit sans passer par le mental.

C'est depuis la présence de ce manteau qu'elle vit dans un détachement tous les jours un peu plus grand, et surtout, dans la confiance. Les peurs s'effacent et la mémoire de ce qui les a causées avec. Elle s'accroche un peu, de peur (résiduelle et inepte) de ne pas se rappeler de quoi il faille se protéger. C'est inéluctable et malgré elle: la peur s'en va. Elle flotte entre deux mondes, un ancien qui s'enfonce dans la brume et le nouveau qui s'en extirpe lentement.

Comment sait-elle qu'il ne sert à rien de lutter? Peut-être la réponse est-elle contenue dans le manteau? C'est peut-être le manteau également qui lui dicte ce détachement: le chaos ambiant qui grandit tous les jours ne l'inquiète pas. Au contraire. Elle sait —mais d'où le sait-elle?— que ce qui vient est mille fois mieux que ce qui meurt. Et les efforts redoublés du moment pour nous faire croire le contraire n'ébranlent pas cette certitude.

Elle ne traite plus que quelques informations par jour, elle laisse passer la plupart sans y poser d'avis. De ce fait, donner à manger au chat et dialoguer avec lui devient beaucoup plus important que la bourse qui s'effondre. Oui, elle dialogue de plus en plus clairement avec le chat. C'est une grande âme, une montagne d'affection inconditionnelle. Un très bon compagnon.

Lui se souvient très bien de leur première rencontre, en Egypte, aux sources du Nil, et il voit bien qu'elle ne s'en souvient pas. Elle sait seulement qu'elle adore ce petit chat qui l'attendrit et lui remplit le coeur.







jeudi 1 septembre 2011

Otis, enfant de ce temps

À la dernière session du HCR (Haut Conseil de la Réincarnation), on avait dit d'accord. Ça urgeait. Il fallait des âmes élevées de retour sur Terre, pour les secouer, les déconnecter d'une programmation sclérosée, ils stagnaient sévère, ça devenait problématique. Si on ne leur donnait pas vite un sérieux coup de pouce, ils allaient tous y rester, en 2012. Le taux vibratoire qui commençait à atteindre la planète était tel que s'ils continuaient ainsi, collectivement, ça allait être un massacre! Leurs corps devaient impérativement muter avant que la planète n'atteigne ce coin de galaxie au rayonnement massif, et il fallait impérativement une grosse évolution de conscience pour qu'ils encaissent les forces à l'oeuvre.

On avait donc autorisé des âmes très anciennes et des âmes encore jamais incarnées à risquer le tout pour le tout. Mais il faut bien l'avouer, c'était une première et on avançait dans le brouillard. Jusqu'ici, c'était la routine, la roue de réincarnation standard: on prend les mêmes et on recommence. Couche après couche, avec des cycles meilleurs que d'autres suivant la position des planètes, et la conscience évoluait petit à petit, tranquille, un peu trop pépère.

A l'instar de beaucoup d'autres, Otis s'est porté volontaire. Une belle grande âme en expansion, rayonnement illimité, comme toutes les âmes. Celle-là a une intensité particulière, une lumière vivante, un petit quelque chose de cristallin et de charmant. Ils ont un peu hésité, au HCR. Mh..! trop grande âme, on ne voyait dans quel genre de corps elle allait pouvoir prendre place. Otis a insisté. Il voulait vraiment-vraiment servir.
— J'entends bien, Otis, dit l'archange Michael, mais là, on n'est plus dans les quota habituels. Même si tu te ratatines les ailes et descends tes vibrations au maximum, on n'a aucune idée des limites de tolérance du corps humain. On n'a jamais fait.
— On a expérimenté un bon bout dans les basses fréquences, ajoute Saint Germain qui s'y connaît en alchimie, mais il faut avouer : dans les vibrations élevées à ce niveau d'incarnation, on est resté dans des limites timides. On l'a joué petits bras, jusque-là.
— Vous savez qu'on doit tenter le coup! Je veux y aller. Je connais les risques, je ne tiendrai peut-être pas le coup très longtemps, tant pis. La vibration sera incarnée, même si elle doit être parasitée, même si elle ne passe pas bien, ce qui est important, c'est qu'elle soit sur Terre.

On l'a laissé s'enrôler. C'est vrai, il y a urgence, et qu'est-ce qu'on risque, au juste ?

Eh bien, au juste, on ignorait complètement ce qui pouvait arriver. Mais après tout, c'était ça ou le carnage assuré d'ici 2012.

Otis choisit un corps de mâle. Les parents, un joli petit couple aimant, des jeunes, innocents et sincères. Son choix fait, il décide de rejoindre le foetus en gestation. Hop, il glisse le long de la corde d'argent pour se placer dans l'utérus, comme à l'entrainement.

Quel choc ! Impossible d'approcher. Il est à deux mètres de sa mère quand elle tombe, terrassée par un vertige fulgurant. Pas de bobos, elle respire quelques minutes et mais ce gros malaise l'incite à consulter son gynéco qui lui prescrit une petit pharmacopée. L'effet de ces médicaments n'aide pas la tâche d'Otis, ils créent un bouclier énergétique qu'il doit forcer pour entrer dans le corps du bébé.

Pendant des semaines, Otis approchera à pas feutrés. La différence entre son taux vibratoire et celui de ces gens est effarant! Il ne s'attendait à rien de tel. Au fil des semaines, il finit par trouver un confort à peu près acceptable dans ces eaux amniotiques réconfortantes. Un équilibre s'installe, bien qu'il se sente très à l'étroit. Il se dit qu'il sait pourquoi il est là.

Le sait-il? C'est devenu confus… La densité de la matière lui brouille la conscience.
Oui, il y avait une intention précise, c'est tout ce dont il se souvient… Mais ce bruit, ces sensations partout, ce corps sensible et douloureux, c'est distrayant.

Il expérimente la douleur. Non, pas la douleur… le toucher. C'est cela! La conscience incarnée, ce sont des images, des sons, des sensations physiques. Elles sont tellement nombreuses et diverses qu'il est difficile de discerner entre agréable et désagréable. Sauf quand c'est franchement douloureux, comme lors des sondes à ultrasons. Quelle torture que ce truc-là! Ou quand on crie autour de lui, ou quand il lui arrive des aliments douteux. Quand sa mère fume, c'est affreux. Un goût écoeurant lui remplit les veines. Le pire, c'est quand elle fume un joint. Le taux vibratoire de cette substance est fascinant: comment est-il possible qu'il soit aussi bas? Quand elle fume ou qu'elle boit de l'alcool, c'est vite vu, il sort du corps. C'est intenable. Et les dégâts sur les corps subtils! Ils sont fous, les humains, tous les poisons qu'ils ingèrent! C'est de l'angoisse sur plusieurs octaves, c'est délirant, il ne s'attendait pas à ça.

Malgrét tout, Otis s'adapte et tient le coup pendant les neuf mois de grossesse.
L'accouchement "se passe bien" selon les critères humains, c'est-à-dire que c'est une boucherie de sang, de sons, de vacarme, d'angoisse, de peurs, de douleurs, de froid et de dur. Sale moment pour Otis. Ce petit corps et les multiples corps subtils qui le constituent endurent un gros stress et même si l'âme qui l'accompagne est grande, elle n'a pas la force physique. Sa conscience est souvent violemment expulsée par ces sensations incroyablement denses qui prennent le dessus. Il assiste alors, à distance, aux convulsions de cet être qui doit être lui, le temps d'une incarnation. Quand il gravite hors du corps, il se rappelle mieux sa mission et son intention. Il se souvient qu'il est de la plus grande importance qu'il s'accroche à cette vie. Il sait garder cette intention précise dans ce corps malgré les turbulences et la déconnexion d'avec sa conscience totale. Il ne se souvient plus pourquoi, dans ces moments-là, il doit s'accrocher, mais il sait qu'il doit le faire de toutes ses forces.

Dans les moments les plus calmes, il mesure le potentiel d'une conscience élevée dans un corps physique sain et mature: illimité! Etonnant! Cette puissance physique n'existe nulle part ailleurs. Il comprend l'utilité de l'incarnation: sans elle, pas d'évolution de conscience au-delà d'un certain stade. La conscience ne peut pas avancer seulement dans les plans subtils, la descente dans la matière est indispensable.

Tiens, d'ailleurs, la matière le rappelle à l'ordre. Il ressent dans son talon une douleur transfixiante qui le paralyse. Il est immobilisé, figé. Ah non, pourtant, son corps hurle de douleur et de protestation, il le voit rouge et convulsé. C'est quoi qui vient d'être détruit? Car c'est une mort. Quelque chose est mort en lui. Il explore… Une substance lourde est entrée dans son talon, mais ce corps ne dispose que d'un système rudimentaire de protection et est incapable d'y répondre. Cette agression provoque une rupture. Comme un fusible qui lâche quelque part. À peine né, ce bébé vient d'être vacciné. Les substances de maladie et les métaux lourds qu'on vient de lui injecter ont provoqué cette cassure silencieuse. Hormis cette brève crise de larmes, le corps ne peut manifester la gravité de ce qui vient de se passer: tout un pan de facultés "supra-normales" lui sont désormais inaccessibles.

Trop de bruit et de douleur, Otis va faire un tour dans le cosmos. Une pause, un moment de ressourcement dans les énergies d'unité. En bas, bébé s'est calmé et, enfin déposé dans un berceau, il s'est endormi comme une masse.

Avec le temps, Otis s'accommode du mieux qu'il peut des incessantes agressions. Il ne peut ni manger ni dormir selon ses besoins, les adultes autour de lui décident pour lui, selon des critères qui lui échappent totalement. Il n'a pas les moyens de se faire comprendre, ces gens sont sourds, aveugles et hurlants. Ce bruit, tout le temps! Ce son qui parasite tout! Impossible de faire passer un quelconque message subtil. Pas étonnant, ainsi jugulée, que la conscience évolue si lentement!

Il a fini par comprendre qu'en contrôlant le corps de bébé, il peut exprimer des choses simples, des besoins essentiels. La faim, l'inconfort. Mais c'est un langage archaïque pour une âme aussi avancée.

Durant les premiers mois de sa vie incarnée, il reçoit encore des vaccins, il est nourri avec des aliments lourds, pollués, il reçoit de l'attention et de l'amour, mais en trop petite quantité. Pendant le sommeil de bébé, quand il peut accéder à une plus grande conscience, il voit bien que ses parents font de leur mieux. De son côté, il fait de son mieux aussi, mais il n'avait pas prévu que ce serait si douloureux. Son système nerveux tendu comme une corde de violon ne se détend que dans de trop rares moments dans les bras de sa mère ou de son père.

Il faut seulement quelques mois pour que la nostalgie l'envahisse. Celle d'où il vient. Il sait bien que c'est un autre poison et qu'il faudrait bien s'en débarrasser, mais il ne sait pas comment faire, il n'en a pas les moyens tout seul. S'il était plus aimé, plus écouté, s'il était seulement un peu aidé… On lui demande de s'insérer dans un corps si petit, dans un vie étriquée dans des horaires et des programmes. Tout est cloisonné, régulé, organisé… On attend tellement de lui qu'il ne peut donner, c'est au-dessus des ses forces.

Si seulement on voulait bien recevoir de lui, ça mettrait en route un générateur d'énergies positives dont il pourrait se nourrir. En fait, Otis crève de faim. Il lui manque des nutriments énergétiques essentiels. Et ces poisons quotidiens contre lesquels il faut lutter à tous les niveaux : physique, émotionnel, spirituel!

Il n'a pas deux ans quand il craque. C'est trop pour lui. Son corps ne résiste pas à la tension, ce sont ses neurones qui flanchent et tout son système nerveux. Trop de distance entre le corps et l'âme. Il se met au diapason de son entourage: l'autisme. Puisqu'on ne sait pas l'entendre, il tente ce dernier moyen: utiliser le même langage. Un silence enfin protecteur. Enfin une forme de paix! Les agressions de l'atteignent plus. Et ça marche: depuis qu'on l'a diagnostiqué autiste, ça se passe mieux pour lui. On est plus doux, plus attentif. On comprend qu'il ne comprend pas. On comprend que quelque chose ne passe pas, c'est un début, …mais on est à des années-lumières de discerner la raison de ce "mal".

Pourtant, Otis est toujours là, grand et généreux. Comme il serait heureux qu'ils voient de quoi il est capable! Par exemple, il sait dessiner, Otis. Si seulement on l'avait laissé faire, il aurait fait de si belles peintures! Il sait chanter aussi, mais personne ne l'écoute, personne ne chante avec lui, pourtant, c'est le seul vrai but du chant: le choeur. Il sait aussi générer des couleurs en dansant. Et puis d'autres facultés dont on croit encore, sur cette planète, qu'elle sont "impossibles" comme la télétransportation. Enfin, il en serait capable si son corps n'avait pas été ainsi meurtri très tôt.

La télépathie, évidemment, qui lui permet de jolies rencontres à l'occasion. Surtout depuis qu'il est ici, en institution, avec d'autres enfants qui, comme lui, n'arrivent décidément pas à entrer dans ce moule trop petit. Des "hyperactifs" à qui on donne des médicaments psychotropes qui modifient leur niveau de conscience. On prescrit un dosage tel que ces enfants, hyper-créatifs, perdent le contact avec leur créativité et s'endorment. Leur âme s'endort, le plaisir et le désir s'éteignent, ils deviennent dociles. Enfin supportables pour leur entourage dont la créativité et l'enthousiasme ont été tués pendant l'enfance, à eux aussi. Là encore, les effets ne se voient pas, on considère donc qu'il n'y en a pas. Pourtant, c'est une bombe nucléaire à retardement.

Otis s'endort aussi. Par instinct de survie. S'il ne met pas cette barrière entre lui et le monde, il meurt. Mais il communique avec d'autres grandes âmes, de celles qui sont, comme lui, prisonnières dans un corps retord, proches ou lointains. Ils savent que la mutation est en cours, et chaque jour, ils récupèrent un peu de leurs facultés. D'ici 2012 et les années qui suivront, ils pourront totalement être régénérés. Les autres autour se seront réveillés et ils pourront faire ce pour quoi ils sont là:

montrer de quoi un humain est capable!


Petit conte inspiré d'histoires vraies relatées dans ce livre: