Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

samedi 7 juin 2014

En vie

Ne sachant pas très bien par où commencer, je reprends un ancien journal. Il y a quelques décennies —non, j’exagère, deux, tout au plus—, mon chemin de vie m’avait amenée dans un stage d’évolution personnelle. C’étaient alors les premiers du genre et il y avait matière à témoigner.

J’avais posé par écrit mes réflexions et mes émotions pour y voir clair, dans un premier temps, mais aussi pour en graver le souvenir dans le détail, car l’expérience fut marquante et enrichissante. Une galerie de portraits remarquables.

Je relis mon texte. Non seulement il est ennuyeux, mais il est bien trop intime. En revanche, l’adage selon lequel la réalité dépasse la fiction est une fois de plus validé. J’ai bien faire d’écrire, je ne me souvenais pas que nous étions aussi allumés.

C’est parti. J’édite mon texte dans une application de traitement de texte. Je le reprends, je rajoute du contexte, des descriptions, des couleurs, des odeurs et des sentiments. Je retire le pathos, le trivial, les anecdotes insipides et je pille le dictionnaire des synonymes.

Je m’efforce de sortir de ma peau et de prendre prends du recul par rapport à mon vécu pour mieux incarner les personnages. Je profite pour en inventer de nouveaux et forcer le trait pour ajouter de l’humour. Mon récit m’embarque, ça coule tout seul. Je prends un plaisir fou !

Dans une vie précédente, j’étais artiste et je retrouve la même vibration. La même «en-vie» qui émane du ventre, le désir d’exprimer quelque chose, tel l’enfant qui saisit un papier et ses crayons de couleur et qui déclare «je vais faire un dessin». Je retrouve le processus créatif qui suit le même cours.

À l’origine, donc, ce désir. L’envie qui prend vie. Et puis l’hésitation devant la première page blanche — métaphore littéraire pour expliquer l’infini des possibilités, mais qui se retrouve aussi chez le peintre, c’est alors la «toile blanche»; et chez le potier, c’est... la «terre blanche» ? Non, je ne crois pas mais je m’égare déjà. Mon mental est un étalon fou que je vais devoir dompter.

C’est le moment du choix. Quel dessin, quelle peinture, quelle sculpture, quels mots vais-je modeler?
L’inspiration est une manne dont la source est mystérieuse, à la fois au plus profond de soi, aux confins du cosmos et partout autour. À moins qu’elle ne soit encodée quelque part dans la création et qu’une magie en rende l’accès possible. C’est de toute façon une collaboration, une connexion avec une mémoire universelle, une sorte de banque de données collective. Je trouve mal les mots pour le dire. 

Quand le contact est établi, la porte s’ouvre et laisse passer flot créatif. La clef de contact c’est l’envie. Tant pis, je me répète, mais c’est important. Je tape en vitesse sur mon clavier, car les idées se bousculent. Étrange moment de canalisation pendant lequel cette source dicte les mots. Les fautes de frappe sont multiples, tant pis, je corrigerai tout à l’heure. J’oublie une négation car la pensée va bien plus vite que les doigts. — Et pourtant, ils vont vite, mes doigts, j’ai appris la dactylographie quand c’était encore un métier.

Je noircis quatre-vingts pages en un rien de temps. Depuis un moment déjà, ce n’est plus moi qui écris, c’est mon héroïne. Il y a un peu de moi en elle, bien sûr, peut-on exprimer autre chose que ce qu’on connaît? Je stoppe à une croisée des chemins. Quelle est la suite logique? J’attrape la première idée qui me vient et je l’élabore, laissant se dérouler ce plaisant fil d’Ariane. 

Je dépasse la centaine de pages. Si j’avais su, j’aurais fait ça plus tôt. L’histoire arrive aisément, les personnages ont leur vie propre, on dirait qu’ils me chuchotent la suite. Mon plaisir est aussi grand que ma surprise.

L’autre jour, un des personnages a changé de nom. C’est un homme à la fois inspiré et arrogant qui se prend pour un gourou. Je voulais qu’il ait un nom ridicule à l’instar de celui du messie cosmoplanétaire de la secte Mandarom, il y a quelques années. Il s’appelait Gilbert Bourdin. «Un nom de charcutier» avais-je alors pensé. 

J’avais donc choisi le prénom très commun de «Robert» pour mon gourou. Et puis à un moment, dans le récit, Robert va trop loin. «Il pousse le bouchon», pensé-je. Et là, prise de rire, je change son prénom pour Maurice, et je fais dire à son interlocuteur : «Tu pousses le bouchon un peu trop loin, Maurice».

Après cela, la panne de l’écrivain. Logiquement, ça devrait aller mal pour l’héroïne mais je n’ai pas l’humeur à la tragédie pour l’instant.

Je lève ma plume et laisse sécher l’encre.




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