Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

jeudi 24 juillet 2014

Création

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Elle dure, cette panne, elle est en train de m’angoisser. Je n’écris plus parce que je pense, et pas aux mariés de mon roman toujours coincés dans leur hôtel dans les Caraïbes. J’ai cru que j’allais les rejoindre, et l’avion a été cloué au sol par des réflexions trop profondes, des choses impossible à exprimer et qui me semblent incontournables. J’ai tenté des les verbaliser, ces abîmes de méditations, ça a donné l’article précédent. Plutôt lourd sur la digestion.

Un mauvais chapitre que je décide de conserver, parce que j’ai décidé d’écrire sur l’écriture, et l’écriture, des fois, c’est très mauvais avant d’être bon.

Je vis un parallèle étonnant. Je suis un cours collectif de poterie où je fabrique des objets pour mon intérieur. Du travail manuel pour reposer le mental de temps à autre. Au fil des semaines, j’ai ainsi conçu un projet de lampe. J’ai tâtonné, construit une maquette, puis élaboré le projet en respectant mal les règles de l’art. J’ai donc raté plusieurs modèles avant d’arriver à ce que je voulais, et j’ai recyclé l’argile.

En me voyant détruire ma pièce, l’une des participantes s’est exclamée:

— Toutes ces heures de travail perdues!

Je l’ai regardée avec étonnement. D’abord, je n’avais le sentiment que c’étaient des heures de labeur, c’était du plaisir. Et puis ça m’a fait réfléchir sur la notion de travail dont la joie ne fait plus partie. — Je réfléchis toujours très vite et beaucoup. Et puis «perdues»? Non, certainement pas. C’étaient des essais, des jets créatifs. Pas satisfaisants? Il suffit de recommencer.

J’ai fait d’autres tentatives en respectant les règles de l’art. J’ai fabriqué les éléments l’un après l’autre, j’ai conçu un support sur lesquels les adapter. J’ai contrôlé le séchage des diverses parties pour les assembler à consistance idéale afin qu'elles durcissent sans efforts ni tensions dans la terre. Grâce aux précédents ratages, mon projet a été plus précis. J’ai rectifié les proportions, fignolé certains détails, amélioré la structure. Le résultat fut enfin bon, après avoir été d’abord mauvais.

Et me voilà à pondérer à nouveau sur le processus créatif. L’un de mes meilleurs chevaux de bataille. J’ai découvert le sujet avec Thomas Mann, j’ai savouré ce qu'il avait à en dire. En allemand dans le texte, je vous prie, à un âge où la philosophie et cette langue étrangère m’intéressaient a priori beaucoup moins que les garçons. Il m’a embarquée, Thomas, dans une mort à Venise, au sommet d’une montagne magique et en compagnie de Tonio Kröger. Embarquée, mais pas convaincue. Il proclame que la créativité ne peut naître que du malheur, de la douleur. Oui, le pathos peut rendre lyrique, mais la joie aussi. Je voudrais savoir en établir le fait aussi magistralement que l’auteur allemand.

Il est puissant, le processus créatif, et cette puissance est effrayante. Confusément, d’abord, et consciemment ensuite quand la création nous renvoie l’image de ce qui était en nous. Rarement exactement l’idée de départ. Quand je l’ai imaginé, mon projet de céramique, il avait une allure dans mon mental qui ne fut pas l'exact reflet de l’objet sorti du four. Pas totalement différent non plus. Comme si la création avait sa vie propre. Comme si l’argile avait eu son mot à dire, tout comme les émaux à la cuisson.

Exactement comme un enfant qui peut ressembler à son parent, physiquement, psychiquement, mais qui a surtout et avant tout son propre caractère.

Or donc, panne d’écriture parce ma quête de signification existentielle m’a emmenée dans des abîmes de réflexion. Comment revenir à la surface? Que faire ces réflexions un peu trop denses? Je vais plomber mon roman avec une densité pareille! Alléger, synthétiser. Trouver l’essentiel de ce que je veux transmettre, et puis aller au plus simple.

Grâce à l’humour, peut-être. Mais comment rire de la densité?

Décaler. Prendre un peu de recul.

Décider. Ah oui, d’abord décider, tout part de l’intention. Qu’est-ce que je veux exprimer, au juste? Le déterminer en deux ou trois mots précis. Ensuite, appliquer les règles de l’art. Ne pas être mes mots, juste les modeler. Reculer de deux ou trois pas, les faire tourner devant moi pour les observer sous tous les angles, et puis respirer.

Important, ça, respirer.

Inspirer l’idée, la laisser faire son chemin en moi, et puis l’expirer, l’exprimer, la rendre au monde avec générosité en l’additionnant d’un peu de moi. La création finale ne m’appartient pas plus que l’idée que j’ai attrapée pour la réaliser. Je dis que la création en céramique est mienne parce qu’elle a passé par moi et qu’elle viendra vivre à la maison, mais tout comme l’enfant qui est né de moi, elle ne m’appartient pas.

Je possède le copyright de mon roman parce que c’est moi qui l’ai traduit en mots, mais la vie qui l’a inspiré est universelle. C’est celle des autres autant que la mienne, les personnages sont tous moi, ils sont tous les autres, et aucun n’appartient à quiconque.

Créer, c’est libérer.


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