Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

samedi 5 juillet 2014

Au théâtre hier soir

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Au théâtre hier soir, une pièce intimiste. Deux acteurs sur la scène, un homme, une femme, qui font la première lecture d’une pièce qu’ils sont en train d’écrire. C’est l’argument de la pièce. Les acteurs en sont également les auteurs. En vrai.

Ces deux comédiens-écrivains ont un charme singulier. Divers personnages interviennent qu’ils jouent à tour de rôle, ils prennent pour cela une voix et une attitude particulière à chacun. Une vieille dame parle avec la bouche un peu de travers tandis que Marcel est un peu nigaud et parler du nez. Henri parle d’une voix rauque et Josy parle «blonde». Les auteurs, eux, parlent normalement.

C’est une toute petite salle de spectacle, je suis au premier rang. La pièce eut été desservie dans une grande salle, impossible de forcer le jeu avec un tel texte pour l’envoyer jusqu’au fond d’une salle plus grande.

Une écriture fine, élégante, drôle et «plus subtile qu’il n’y paraît» affirme une réplique récurrente de la pièce. Ils lisent également les didascalies et l’homme explique que c’est «une indication scénique écrite par l’auteur complétant le dialogue mais n’en faisant pas partie». La première didascalie décrit la situation dans laquelle nous sommes:

— Deux acteurs, assis à une table basse sur laquelle il y a deux verres et une carafe d’eau.

Expression dépitée de la femme devant l’absence de ces objets sur la table. Sourires dans la salle, le ton est donné.

Plus loin, l’homme parle de l’affiche de la pièce.

— Oui, l’affiche est déjà faite, vous l’avez peut-être vue. Elle est là, tiens, je vais la chercher.

Il sort côté jardin pendant que la femme s’apprête à poursuivre la lecture sans lui. Elle est interrompue par le bruit que fait l’homme dans les coulisses. Il revient avec l’affiche. Il la tient pour nous et la décrit longuement. Il explique qu’on a laissé de la place, ici, pour inscrire les noms des acteurs, plus tard, quand la pièce sera montée. Puis il veut l’afficher, « c’est une affiche, on l’affiche, l’affiche, c’est prévu pour cela », explique-t-il. La femme fait remarquer qu’il n’y a rien pour l’afficher. L’homme montre le mur du fond, il s’approche et rit car, justement, il y a deux scotchs contre le mur.

— Ha, ha, ha, comme c’est drôle. Justement deux scotchs.

Son rire est irrésistiblement communicatif, toute la salle rit crescendo et l’acteur de plus belle pendant qu’il scotche l’affiche au mur du fond. Il insiste gaiement sur la présence de ces deux scotchs, justement, sur le mur, alors qu’il voulait afficher l’affiche.

Il a un jeu mesuré, mais délié, aisé. C’est léger, c’est de la dentelle, je savoure avec délice.

Ils décrivent un étang devant eux qui rappelle le titre de la pièce: «Au bord de l’eau». Face à eux, c’est donc nous, le public. Au début, on visualise l’étendue d’eau, là, quelque part. Et puis le jeu des acteurs nous fait fusionner avec l’élément jusqu’à nous retrouver barbotant dans l’étang. La femme décrit ensuite l’eau qui miroite:

— On dirait des dizaines d’yeux qui brillent dans le noir.
Le public, pris au jeu, est parcouru d’un frisson amusé. Je suis enchantée. Littéralement.

Plus tard, même fusion de la réalité avec la fiction entre la femme et l’un des acteurs dont elle lit les répliques. L’homme, qui incarne l’auteur à ce moment-là, se recule un peu pour mieux observer sa comparse et s’exclame:

— Woah, je pensais pas qu’un des personnages s’adresserait à moi.

Un moment hors espace-temps où les mondes se mélangent. Puis encore, à la fin d’une diatribe:

— …il vient de l’eau, de là, dit la femme en montrant le public-étang.

Elle est interrompue par le rire de l’homme.

— Non, pardon, mais c’est amusant, vous avez dit «de l’au-delà»
— Non, pas du tout.
— Si, vous avez dit : «de l’au-delà», ha, ha !
— Non, non, je n’ai pas dit ça.
— Si, si. Ha, ha, c’est amusant, «de l’au-delà».
— Mais non, pas du tout, j’ai dit : «de l’eau…»

Elle refait le geste en direction du public pour désigner l’eau de l’étang, là…

— Ah oui. De l’eau-delà.

Magnifique exercice de style, magistrale maîtrise des mots et de leur sens et complet raffinement dans la mise en scène.

Je viens de passer une excellente soirée. Quand je serai grande, j’écrirai ainsi.





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