Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

dimanche 28 août 2011

Enfant du présent


Depuis sept heures du matin, elle me guettait derrière la fenêtre, j'avais pourtant annoncé mon arrivée à sa mère en fin de journée. Elle le savait, et même à trois ans, elle pouvait comprendre que c'était beaucoup trop tôt pour que je sois là; n'importe, elle m'attendait. Elle s'enquit ainsi de mon arrivée à plusieurs reprises dans la journée, l'insouciance de son âge ne chassant pas cette idée de son esprit.

Marie et moi ne nous étions jamais rencontrées. Sa mère l'avait tenue au courant de ma visite en précisant que j'allais passer le week-end chez eux, que je dormirai dans la chambre d'amis. Simple babil entre mère et fille… Marie avait demandé qui j'étais pour sa mère.
— Une amie. Nous nous sommes connues sur internet, et puis il me semble que nous devons nous connaître d'une vie antérieure, parce que le courant passe bien entre nous.
Mère branchée, enfant éponge, Maman livre tout haut sa pensée, tant pis si petite fille ne comprend pas tout.

Mon amie m'a envoyé un sms pour me dire cela, que Marie a collé son nez derrière la fenêtre tôt ce matin et m'attend. Troublée par ce comportement, j'y pense en faisant la route. Marrant comme cette gamine me guette. Qu'est-ce qu'elle a bien pu lui raconter, Florence?
— Juste cela : qu'on a dû se connaître dans une autre vie, me dira-t-elle plus tard.

Quand j'arrive, je ne sais pas trop à quoi m'attendre. Elle vient comme un chat, valide ma présence, ne fait pas de bisou —ce sera pour plus tard, quand nous serons plus familières—, sourit, fait demi-tour et repart jouer. C'est un courant d'air frais, cette enfant! Un morceau de cristal clair, une gorgée d'eau fraîche quand il fait soif. Je suis instantanément séduite.

Il fait beau, nous prenons nos repas dehors. Mes amis ont installé une table sur une palette de transport. Nous mangeons assis en tailleur à cette table basse, à la japonaise. Marie est à côté de moi, sur une chaise à sa taille. Nos deux têtes sont à la même hauteur et nos regards bien en face. Je ne sais pas pourquoi, mais elle provoque en moi une vraie jubilation. Elle est vive, gentille, amusante, elle a la curiosité de ses trois ans. Elle déclenche le clown en moi et je m'amuse avec elle. Je réponds à ses questions avec des loufoqueries, j'invente des histoires pour voir dans ses yeux qu'elle réfléchit à démêler le vrai du faux. Elle est malicieuse.

À un moment, je lance une clownerie en me tournant vers elle, mon nez presque sur le sien. Elle a des yeux transparent. Non, ils sont bleus. Son regard attrape mes yeux et je plonge en elle, tout comme elle plonge en moi. Je découvre un univers illimité, un espace limpide. Je sais, je sens qu'elle lit en moi. J'ai une fraction de seconde d'angoisse à être ainsi pénétrée, mais je me détends immédiatement : c'est sans violence. Un regard inconditionnel.

Elle me voit.

Dans mon entier, elle voit mon être complet. Je sais que je ne peux rien cacher, mais je sens nettement l'absence totale de jugement. Du moins de sa part, et je sais que je dois m'abstenir de tout auto-jugement, au risque de casser la magie de l'instant. Elle voit en moi. Elle voit partout en moi et je constate que je suis autorisée à la réciproque.

Je la vois.

J'avais entendu parler d'enfants "cristal", je comprends à l'instant pourquoi. C'est effectivement une énergie cristalline que je pénètre et qui m'englobe. Je me sens comme sous une cascade, l'eau et l'air sont purs. C'est doux, c'est gai, c'est stimulant. Cette petite est magique! Une fée, un morceau de bonheur. Je suis remplie de gaieté à son contact, elle rayonne un amour et une joie encore jamais rencontrés. Pendant ce regard qui dure trois secondes d'éternité, nous échangeons …des données. Je ne sais pas dire mieux. Une mise à niveau de nos données respectives. Comme un logiciel qui se met à jour et se synchronise sur deux machines différentes. Etonnant ! Ce n'est pas un donnant-donnant : je prends-je donne, c'est une fusion librement consenties par nous deux.

Hormis ces trois secondes d'intensité hors du temps, Marie sera une petite fille «normale» pendant tout le week-end, très occupée avec ses jouets, dans son monde. Elle m'étonne cependant par la qualité de sa présence aux autres. Le samedi, je m'amuse à l'entendre pousser un cri en jouant et j'en fait la réflexion à Florence, sans même remarquer que Marie a entendu. Le dimanche, elle me rappelle que "j'aime bien quand elle pousse ce cri". Je trouve étonnant qu'elle se souvienne ainsi, à son âge, d'une chose aussi anecdotique de la veille. Trois ans est un âge encore normalement très égocentrique où le reste du monde est accessoire. Mes goûts et mes couleurs, en principe, auraient dû être effacés de sa mémoire pendant la nuit.

Je me rends compte par la suite que nous avons abondamment échangé par télépathie. Sa mère et moi avons discuté sans fin pendant les deux jours de ma visite, Marie a plus d'une fois mis son grain de sel dans nos discussions parfois métaphysiques, manifestant un niveau de compréhension tout à fait étonnant. Pourtant, je ne m'en étonne pas. C'est un être complet en synergie avec son environnement.

Parfois, la logique des choses lui échappe, surtout quand cette dernière est très "ancien monde". Quand ce sont nos peurs ou nos programmations qui parlent, plutôt que notre âme. Je capte qu'elle s'adapte à sa vie comme si elle était une étrangère en visite dans un pays dont elle apprend les coutumes et s'y plie. Elle viendrait d'une autre planète que je n'en serais pas étonnée.

Je retourne chez moi avec l'empreinte indélébile de Marie. Les jours suivants, je penserai souvent à elle avec la certitude qu'à l'autre bout, elle pense aussi à moi.

Cette visite à mes amis a eu lieu il y a déjà des mois et nous nous sommes peu recontactés depuis. Pourquoi j'ai repensé à Marie ces jours ? je l'ignore, mais sa présence est aussi vivante que lorsque nous avons échangé ce regard.

Il paraît qu'ils sont tous les jours un peu plus nombreux parmi nous, ces enfants cristal.
Quelle chance !

Quelle chance aussi pour Marie d'avoir trouvé des parents ouverts et accueillants. Ces enfants, parfois, ne sont pas compris, car ils ne rentrent pas dans nos moules, beaucoup trop petits pour eux. Au lieu de les reconnaître "hypercréatifs", on les appelle parfois "hyperactifs". Alors, il se taisent. Dans ce cas, on les appelle "autistes".
Mais c'est une autre histoire...








Aucun commentaire: