Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

dimanche 28 novembre 2010

Millball

L'idée d'un blog mijote dans ma petite tête depuis quelques semaines, j'avais déjà pondu quelques articles. Un voici un qui date de juin 2010.

Ce matin, je reçois un appel à mon numéro de téléphone professionnel :
— Madame Machin ?
— Ouiiiii ? réponds-je aimablement.
— Madame Chose de la société Millball*, me dit-on avec une once de menace, ou de défi, je ne suis pas sûre.
— Ouiiiii ? encourage-je doucement, dans l'espoir de lénifier une éventuelle vindicte.
*(Je planque le nom de la société suisse de redevance télé sous un pseudo, j'ai pppeur d'avoir des ennuis)

Il faut dire ici que je vais bientôt déménager et changer de canton (en Suisse). Pour l'instant, je passe la semaine en ville, à 80 km de mon domicile où je ne rentre que le week-end. J'ai donc rerouté mon courrier à mon adresse professionnelle histoire de ne pas attendre le week-end pour lire ma correspondance. Quand la dame de la poste m'a demandé si c'était un changement définitif, j'ai répondu oui. Je venais de décider de passer les deux mois d'été au camping, proche de mon lieu de travail, pour me donner le temps de trouver un logement dans le coin.

Dans quel engrenage administratif n'avais-je pas mis le doigt ! Madame Laposte/BigBrother m'a dénoncée aux impôts et à Madame Millball.
Qui m'a écrit.
À qui j'ai répondu que j'allais passer l'été au camping, et qu'ensuite, je ne pensais pas me rebrancher au câble, «les programmes télé étant vraiment trop navrants».

J'avoue, j'ai osé espérer que mon affirmation soit militante et provoque une prise de conscience même minime. Quoi ? Une cliente pas contente ? Nous allons très vite en tenir compte et très vite nous améliorer.
Ouiii booon, je sais… Utopiste, probablement naïve, je vous ai avertis.

— Je vous appelle pour vérifier si vous n'avez réellement plus de télévision, me dit-elle du ton péremptoire de celle à qui on ne la fait pas.
— Je vous l'ai dit, je vais au camping et je vire ma télé !
Me calquant sur le sien, mon ton est nettement plus sec, je ne lénifie plus ! Oula ! Je sens que je dois me défendre. De quoi ? Je n'ai pas encore bien compris, mais ça vient.
— Vous n'emportez pas votre télé au camping ?

Tiens, ça ne m'était même pas venu à l'idée.
La dernière fois que j'en ai fait, du camping, il y avait encore le réchaud à gaz qui manquait enflammer la tente minimum trois fois la semaine, la lampe au même butagaz qui attirait les moustiques en masse, la douche, la lessive et la vaisselle à l'eau froide, le tapis de sol des tentes non solidaire des parois, laissant le champ libre aux inondations et aux fourmis alternativement, une cuvette dans le terrain systématiquement pile là où nous plantions notre tente, les nuits d'orage passées à creuser des rigoles et j'éviterai à dessein les odeurs et la couleur des sanitaires…

Alors la télé sous la tente, tu parles, c'est de la science-fiction !!!
J'ai de la peine à m'imaginer que le mois prochain, j'aurai non seulement l'électricité sous la tente, mais également le wifi.

— Ah noooon, si je change de vie pour aller au camping c'est pour avoir la paix, m'exclame-je pour dégager l'énervement qui me gagne.
— Bon, concède-t-elle. D'accord, je résilie la télévision, mais il reste la radio !

Là, mes nerfs entrent en jeu. Mais elle me veut quoi, au juste, cette Madame Chose ? Ne peut-elle pas juste prendre poliment note de mon désabonnement ?
Eh bien non. On ne quitte pas si facilement la secte de la redevance télé.
— J'ai pas de poste de radio, fais-je en scannant mentalement mes affaires, visualisant avec une once de culpabilité le lecteur de DVD défectueux, nanti d'une radio qui fonctionne parfaitement mais que je n'écoute jamais.
Elle sent mon mensonge. Elle s'engouffre dans la brèche :
— Vous n'avez AUCUN poste de radio ?
— Nan ! fais-je d'un ton buté à mon tour.
— Nulle part dans votre appartement ? Pas de lecteur de CD ? Même pas dans votre voiture ?

Ma trop bonne éducation empire avec l'âge, je ne sais pas et ne veux pas mentir, je crois encore que je suis dans un monde normal, juste... (Rhooo, ouiiii, je sais...)

Ma foi, je cède, mais j'essaye encore une volte-face, pour tenter de ne pas la perdre complètement (la face) :
— Vous êtes incroyables… Vous êtes vraiment des requins !
— Ah oui, on ne laisse rien passer !

Joyeuse ! Elle admet. Sans honte. Fière d'elle, même. Guillerette, il me semble.
Elle facture, c'est compulsif, elle est contente.

J'envoie :
— Et si je vous dis que je n'écoute pas la radio dans ma voiture ?
— M'est égal ! répond-elle sur le ton d'enfant de cinq ans dans la cour de récré.

Elle le prononce d'un trait : MÉTÉGALL !
— Et si je vous dis que ma radio est foutue dans ma voiture ?
Elle ne capte même pas que je me fiche d'elle. Hallucinant ! C'est à peine si je respire, tellement je suis estomaquée, je n'arrive pas à croire qu'elle est vraie, cette nana !

— Je prends note, mais "ils" viendront vérifier !
Ça fonctionne : j'imagine un troupeau de barbouzes débarquer dans l'heure et constater que la radio de ma voiture est en parfait état de marche. Rhaaa ! Je perds la partie, parce que je n'ai pas compris à quoi on jouait. Je ne sais ce que je balbutie quand elle résume :
— Bon alors je vous mets quoi : la radio ? me demande-t-elle comme une marchande de poissons.
«C'est votre dernier mot, Jean-Pierre ?»

— Beeen, mettez-moi la radio...
Je suis la fille écoeurée qui signe de mauvais gré le contrat d'achat de l'encyclopédie en quarante-huit volumes sur la germination des graines de soja, juste pour me débarrasser du camelot envahissant dont les arguments sont inattaquables.

J'ai un gros creux à l'estomac et comme un vertige. Sur quelle planète me suis-je télétransportée sans m'en rendre compte ? A-t-on à ce point perdu tous nos repères ?

Elle a l'air tellement à l'aise dans son scénario, elle le répète plusieurs fois par jour, c'est certain, et moi, je me fais l'impression d'avoir manqué des épisodes.

— Alors ça fera 12 francs 25 par mois !
Elle est contente. J'envie presque son plaisir, tiens ! Son monde a l'air si simple.

En principe, je suis polie et gentille, surtout avec les administrations. C'est sacré, chez nous. Les impôts, les assurances, les taxes et redevances... Sacré.

Mais là, je me lâche :
— N'iiiiimporte quoi pour me facturer quelque chose ! C'ets nuul ! Vous savez qu'à ce prix-là, ça vous coûte de me facturer cette redevance ?
— NAN !… Paskon facture trimestriellement !

C'est génial. Elle est formattée jusqu'au trognon. On sent les heures de coaching, la formation exprès pour ce genre de conversations.
On vit une époque formidable !

Robocop redevance. Tax Terminator.
J'espère qu'elle est payée à la commission, pour être motivée à ce point, sinon, j'ai peur. Je vous jure que j'ai peur...

Au secoooours, je peux changer de planète ? J'en aimerais une où il y a une vie intelligente.

ÉPILOGUE

Après avoir payé trois mois de redevance, je me domicilie officiellement chez mes parents. Je me délecte alors d'une lettre à Madame Chose/Millball pour l'informer que le monsieur chez qui j'habite paye déjà une redevance, qu'on songe donc à m'en faire grâce désormais. Ça a marché, n'ont pas réalisé que j'avais toujours ma voiture...

Jeu, set et match.
il y a comme ça des petits triomphes qui font des grandes jouissances.

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