Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mercredi 3 septembre 2014

Salon du livre

TU DEVRAIS ÉCRIRE

Elle est là dès l’ouverture pour vérifier que son livre est en bonne place sur le stand de son éditeur. L’assistante, qui est en train d’achalander les rayons, la rassure, demain, pour sa séance de dédicace, la table lui sera tout entière consacrée. Ce n’est pas son souci, à l’auteure, elle les veut tout de suite bien en vue, ses bébés. L’assistante lui répond gentiment qu’elle n’est pas toute seule, qu’il s’agit pour l’instant de mettre tous les auteurs en évidence, pas seulement elle. Elle insiste, attrape une pile de ses livres et les range tout devant. L’assistante attend qu’elle ait tourné les talons pour rectifier l’arrangement. Le lendemain, elle revient, comme c’est son heure et elle envahit l’espace. Son expresson est si tendue par l'angoisse de ne pas vendre que les gens font ostensiblement un écart devant sa table. Elle finit pas les apostropher comme une marchande de poissons: «Vous avez lu mon livre?». À l’occasion, un chaland s’arrête pour l’écouter. Elle lui fait l’article, son livre est un pamphlet géo-politique, elle milite pour sa cause. Elle finit par intéresser quelques personnes et enregistre quelques ventes.

Lui, il a écrit un livre édité dans la même collection, même couverture, même marketing. Il vient dire bonjour dans l’après-midi, il demande comment ça se passe. Il remercie l’assistante de l’avoir bien placé sur le stand, puis il annonce qu’il revient tout à l’heure; sa séance de signature est prévue après celle de l’autre alors il va faire le tour du salon. Quand il est de retour, avant de s’installer, il propose à l’assistante d’aller lui chercher un café. Elle accepte volontiers, elle est aux prises avec l’autre qui refuse de libérer la place, qui demande si elle ne peut pas avoir un peu plus de temps, est-ce que son collègue pourrait se contenter d’un bout de table qu’elle veut bien concéder? L’assistante finit par obtenir à grand renfort de diplomatie qu’elle laisse la chaise au suivant, l’auteure prend cependant bien soin de disposer une dizaine d’exemplaires de ses livres par-dessus ceux déjà exposés sur le reste du stand. 

Quand il revient avec le café, il remercie l’assistante, il sourit, il parle avec les gens, il les écoute. Et puis il parle de son livre avec chaleur et modestie et en dix minutes, il vend déjà deux fois plus que l’autre en une heure qui fait la grimace, à l’écart. Elle est restée collée dans le secteur dans l'espoir d’attraper encore un ou deux chalands. Quand son heure est passée, il s’inquiète de savoir à qui le tour. L’assistante lui répond que c’est tout pour aujourd’hui. Il reste un moment à papoter avec elle puis s’éclipse quand le public revient la solliciter. Il lui fait un gentil geste de la main et un grand sourire, il fait comprendre qu’il reviendra dire au revoir plus tard.

Le lendemain, à la première heure, la première est de retour, en rage. Elle n’a pas reçu son invitation à la soirée des auteurs. Elle fait un scandale, réclame le directeur, déclare avoir fait l’ouverture du salon du livre de Paris aux côtés du président et ici, dans ses propres terres, elle est ignorée, quel scandale! Elle fait suffisamment de bruit pour obtenir son sésame et le soir même, emmêchée, elle va flirter avec les auteurs connus, son livre sous le bras. Elle est convaincue qu’un best-seller est une affaire de marketing. L’avenir lui donnera sévèrement tort.

Cet autre est un auteur volubile qui a édité un tout petit recueil de poèmes, et cela à compte d’auteur. Il est fan de l’éditeur qu’il est venu saluer, il lui faut dix minutes pour raconter cela à l’assistante. Comme l’éditeur n’est pas là, il montre sa production à l'assistante, ce sont les grands classiques que tout le monde aime, L’Albatros, Le Dormeur du val. En couverture, une reproduction du mois d’avril des Très riches heures du Duc de Berry. Une précieuse érudition en trente pages qu’il vend cinq francs.

…Qu’il finit par donner avec verve aux chalands après avoir vendu un exemplaire qu’il a dédicacé. Il a payé un coup à boire, il a plaisanté, il est venu, il a provoqué un courant d’air frais et joyeux et il est parti. Poli, vieille France, il n’a parlé que de son nombril, mais avec une telle élégance que ce n’est qu’après son départ qu’on se rend compte qu’il n’a écouté personne d’autre que lui.

Celui-là est l’auteur de la dernière parution chez l’éditeur. À l’heure de sa séance de dédicace, non seulement il n’est pas présent, mais il ne répond pas à son téléphone. Et pour cause. Une fois alerté de la chose, l’éditeur part le chercher là où on lui a dit l’avoir aperçu dans le salon. Il le trouve sur le stand d’un gros diffuseur, des caméras de télévision braquées sur lui. Il ne s’excuse même pas de son absence, il lui semble tellement normal et compréhensible qu’une caméra l’emporte sur une séance de dédicace qu’il ne voit pas la faute. Il avait fait le siège des éditions et harcelé un directeur de collection jusqu’à ce qu’il cède et accepte son livre, un ouvrage illustrés avec beaucoup de photos sur un sujet grand public. Il était tellement pressé de le voir édité qu’il a négligé la relecture attentive des épreuves et l’ouvrage comporte des imprécisions et quelques coquilles regrettables. Le livre se vendra bien, mais moins bien que l’ego de l’auteur ne l’imaginait, ce qui provoquera la guerre avec l’éditeur. Après avoir traité ce dernier de menteur et de voleur, l’auteur reprendra ses droits et ira répéter le scénario chez les concurrents.

Elle, petite, mesquine — ça se voit sur elle — arrive avec son manuscrit sous le bras. Elle a contacté l’éditeur à plusieurs reprises et fait le siège du stand depuis ce matin pour le rencontrer en personne. Elle prétend avoir écrit «un livre révolutionnaire avec des idées révolutionnaires encore jamais entendues» mais veut un contrat signé avant de le donner à lire. L’éditeur lui explique gentiment qu’il veut bien la croire sur parole, mais qu’il ne signera un contrat que preuves en mains. Elle craint tellement que ses informations soient piratées qu’elle se recroqueville sur son document. À force de palabres, l’éditeur fini par obtenir de pouvoir feuilleter quelques pages qu’elle lâche péniblement, comme une mère qui refuse qu’on porte son enfant. Après un moment qui lui semble insoutenable, elle referme le livret et le reprend des mains de l’éditeur. En fait, elle a écrit sur un sujet chaud qui défraye la chronique et qui est bien plus abondamment documenté sur le web que dans ses pages. L’affaire ne se fera pas.

Sur le forum, un auteur connu participe à une conférence sur le livre numérique. C’est une évolution dans l’édition, on la craint comme on a craint le téléphone, la télévision et internet à leur arrivée dans le paysage. L’auteur, qui n’y connaît pas grand chose, déclare que le eBook va tuer le livre papier, que pour sa part, il n’y croit pas, qu’il ne voit pas Guerre et Paix être lu sur un iPad. Pourtant, se dit l’assistante, le texte est le même, la tablette de lecture n’est qu’un support de lecture différent.

Dans le domaine, c’est intéressant, il y a ceux qui profitent de l’aubaine de la nouveauté en proposant une libraire en ligne pour diffuser les eBooks que d’autres écrivent et fabriquent. Ils prennent 40% du prix de vente pour faire ce qu’on peut faire soi-même: vendre son livre directement sur le web. L’assistante qui écoute l’argument ne comprend pas bien pourquoi un auteur lâcherait un pourcentage de son livre quand il peut obtenir plus sans intermédiaire.

À prendre ainsi note des agissements de cette fourmilière édifiante, l’assistante se dit qu’un de ces jours, elle écrira un livre sur l’écriture et sur le monde fascinant de l’édition.












1 commentaire:

Anonyme a dit…

Tant de créatures effrayantes dans la jungle de l’édition…
Mais tellement bien décrites dans ce billet.
On sent le vécu et une longue observation.
Stephan