Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 17 décembre 2010

Baboum-baboum

Son geste se fige. Il regarde sa main, son bras, soudain étrangers. Qu'était-il en train de faire? Il ne sait déjà plus. Il se lève, quitte une chaise qui se dématérialise, abandonne un bureau devenu invisible et lâche des responsabilités illusoires.

Un tambour éclate en lui, un rythme sourd, chaud, rassurant. Baboum-baboum! Quel est ce son, quelle est cette odeur? Que lui arrive-t-il?

À peine ces questions posées, il se désintéresse des réponses qui lui semblent d'une grande futilité. Mais où était-il à l'instant? Rêvait-il?

Son corps se meut sans sa volonté. Il le suit. Ses jambes fourmillent d'une grande envie de danser, mais ses muscles atrophiés ne répondent pas encore à cet appel.

«Un éléphant qui devient gazelle»
Cinq mots dictés dans sa tête lui font constater, tiens, oui, c'est exactement ça!

Cette onde dans ses jambes atteint son ventre. Le plaisir éclate. Celui de marcher, de sentir …quoi, sous ses pieds? Il constate qu'ils sont nus, qu'il avance sur… mais sur quoi au juste? Il observe. Il y a bien quelque chose sous ses pas, mais il ne saurait le déterminer. En fait, la route, ou le chemin, ou la …chose se concrétise dès qu'il avance une enjambée. C'est doux, c'est souple, organique. Son chemin est vivant et émane de ses jambes, non, de son bassin. De son désir.

Il sourit. «Magique!»
Il s'étonne que ça ne l'étonne pas plus.

Est-ce le vide autour? Non, c'est une sorte de rien. Ou plutôt d'un quelque chose non encore manifesté.

«Est-ce que je rêve?»
Non, au contraire, il sait qu'il se réveille.

Autour de lui ses… comment on disait, déjà? …ses collègues de travail sont toujours penchés avec sérieux sur des dossiers imaginaires. Un fou rire silencieux l'envahit, comme ils sont drôles! Il a presque envie de les secouer pour les réveiller, mais non. Ils se réveilleront à leur heure, quand l'envie leur viendra, quand ils en auront assez de leur rôle sérieux. Ils sont autant de mimes Marceau qui, d'une gestuelle habile, savait créer une prison de verre autour de lui. Ils sont dans leur boîte, ils y sont attachés, c'est leur vie, leur jeu, il respecte. Au théâtre, on assiste à la pièce sans intervenir, on ne va pas suggérer des changements de scénario depuis son fauteuil, quelle idée!

Il respire. Il aère ses poumons en grand.
Ça sent bon. Une odeur nouvelle, impossible à décrire. Pourquoi la décrire, d'ailleurs? Les mots se taisent dans sa tête, il n'est que jouissance. Il continue à avancer sur ce drôle de chemin vivant qui fait partie de son corps. La joie est pleine dans son ventre.

Toujours ce tambour…

Son corps est au diapason de ce baboum-baboum qui semble décider de chaque pas. Il est conscient de son sang qui circule dans ses veines, de la vie dans ses organes et ses muscles: il en observe la chaleur, la souplesse, l'aisance. Jamais il n'a à ce point habité son corps. L'espace d'une fugace seconde il se dit qu'il s'est privé d'un grand plaisir, c'est très amusant et très confortable, un corps humain! Une ribambelle de mots qui déjà s'estompent et laissent à nouveau la place aux seules sensations, sa pensée n'étant maintenant focalisée que sur sa respiration qu'il discipline ample et gourmande.

Les autres autour deviennent transparents.

C'est quoi ce tambour?

Le chemin est de plus en plus lumineux. Un peu plus loin devant, quelque chose apparaît, radieux. Une énorme silhouette jaune, rayonnante. Quand il approche, il distingue un être humain, de taille normale, pourtant. Ça brille ainsi, un être humain? Non, brillance n'est pas le bon mot. Rayonnement, émanation, plutôt.

Baboum-baboum-baboum. Un autre tambour.
Un autre chemin qui se matérialise sous des pieds qui progressent.

Ils sont maintenant face à face, aimantés l'un par l'autre. Leurs regards se connectent.
«Je te vois.»

BABOUM-BABOUM!
Les tambours à l'unisson.

Puis chacun repart, additionné de l'autre.

D'autres êtres se réveillent et se lèvent de loin en loin. Ces pieds qui tracent des chemins créent une grille lumineuse. Certains s'amusent alors à dessiner de conserve des arabesques irisées, colorées sur simple intention. Ceux qui esquissent des pas de danse produisent de la musique.

Émerveillement collectif.
Le même plaisir que les enfants dans la première neige.

Baboum-baboum.

Mais c'est quoi, ce tambour?!

…C'est son coeur, qu'il entend pour la première fois.




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