Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mardi 26 août 2014

Divination

TU DEVRAIS ÉCRIRE

La panne suivante est due à une astrologue de renom. Je la connais professionnellement, on s’aime bien, nous nous voyons pour un thé et pour des raisons professionnelles. Elle sait mon intérêt pour l’astrologie, elle me l’avait promis, elle me livre ce jour mes augures personnels pour l’année. Il fut un temps où j’écumais les devins, j’avais besoin de connaître mon avenir. Et puis j’ai appris que l’avenir, c’est un présent qu’on s’envoie dans le futur. Cela dit, ça m’amuse de savoir quelles étoiles vont illuminer mon chemin ces prochains mois.

Les augures sont bons. Il y a aura du pain et des jeux. Elle me promet de l’argent et des rencontres. Elle cherche à discerner comment interpréter les astres dans un coin de ciel particulier. Je l’aide: 

— Je suis en train d’écrire, vais-je avoir du succès?

Elle ne sait pas, l’astrologue de renom, ce qu’elle provoque à ce moment-là. Elle lâche le couperet de sa voix chaude :

— Ce n’est pas le moment de faire ça.

Bam! La flèche de la vérité tape dans le mille.

Elle ajoute sans lever les yeux et donc sans croiser mon regard découragé:

— Vous surestimez ce que vous faites, en ce moment.

Mince, elle a raison! C’est à la fois la brûlure acérée de l’orgueil salement froissé et un baume salvateur. Excellente remise à niveau. Effectivement, je m’égarais, je commençais à me prendre pour un auteur avec un grand H. Ma question «vais-je avoir du succès?» est révélatrice. Si j’écris pour avoir du succès, c’est raté d’avance. Écrire, c’est avant tout avoir quelque chose à exprimer.

N’empêche, elle m’a coupé la chique. Va falloir digérer cette ciguë, parce que ce n’est pas un ego froissé par une astrologue, même de renom, qui va diriger ma vie. Celle qui dirige en moi, c’est la Voix. Ou la Voie.

Et puis les astres proposent et je dispose, non mais!

Cela dit, une fois de plus, je constate que c’est un fragile animal que la création. Étrange alchimie d’inspiration, de connaissances, de travail et du juste moment. Je repense à ma vie antérieure de potière. C’était à la meilleure époque pour cela, la fin des années quatre-vingts. Nous étions encore des hippies et la céramique se vendait tels les fromages de chèvre sur les marchés artisans: comme des petits pains.

Au début, j’ai tourné des pots. Des grands, des petits; et j’ai concocté des recettes d’émail, des brillants, des mats, des lustrés, des ratés. Et puis la mode est passée et les petits pots ne plaisaient plus et surtout, je m’ennuyais à produire des pots. Produire n’est pas créer.

J’étais en panne, je cherchais une inspiration. Elle est venue. J’ai eu envie de fabriquer des fontaines d’intérieur. Les idées abondaient, certaines me sont même venues en rêve. Non seulement mes mains canalisaient la vision que j’en avais avec une singulière aisance, mais je résolvais les problèmes techniques avec une connaissance qui me surprenait. Je fabriquais une œuvre en provenance de je ne sais où. Dans ces moments, j’étais à l’essentiel. Le mental mobilisé seulement par quelques idées simples. «De cette façon... Non, pas comme ça, c’est moche... Oui, ça va marcher... Ah non, ça ne tient pas.»  

Et à la fin, jubilation face à la splendeur du vrai.

La seconde étape après sa création, c’est l’exposition de l’objet d’art. C’est un si gros morceau que c’est pour ça que les humains, des créateurs dans l’âme, se contentent de reproduire toute leur vie.

Se retrouver face à son oeuvre est déjà un choc. «Woah, c’est moi qui ai fait ça?» 
La réponse est oui et non, et c’est la première patate chaude. Oui, ce sont bien mes mains qui ont modelé cet objet, mais non, je n’ai pas vraiment créé cette œuvre, elle existait quelque part avant, c’est une certitude. Cette chose accomplie qui me fait face a son existence propre.

Pour tout dire, moi qui suis mère, j’ai eu le même sentiment face à mon premier-né. Impossible de nier qu’il sortait de mes entrailles, j’en avais les organes encore meurtris, mais il n’était pas mien, son souffle lui appartenait en totalité. Je contemplais ce petit être endormi comme une fleur encore en bouton; déjà il était lui, il n’avait jamais fait que passer par moi.

Une fois accouchée, l’œuvre est à présenter au monde. Et le monde va la juger. Moment terrible. Et si le monde détestait son œuvre? Ah oui, ce serait grave, parce que son oeuvre, c’est l’expression de l’âme du créateur, de son noyau tendre. C’est le meilleur de lui; d’ailleurs, lui-même est bouleversé quand sa meilleure sensibilité se révèle à lui.

Et les autres sont tellement méchants! C’est parce qu’ils ont peur, eux aussi, de la beauté qu’ils recèlent, alors quand un autre ose montrer la sienne, ils sont envieux et ils critiquent.

L’art ne se critique pas, il se ressent. On est touché ou on ne l’est pas, c’est tout ce qu’on peut être autorisé à en dire. Je ne m’embarquerai pas sur la critique des critiques d’art, ce serait aussi inutile qu’eux.

La créature achevée touche d’abord son créateur. Parfois au point qu’il n’arrive pas à s’en séparer. Il faudra bien, pourtant, qu’il coupe le cordon ombilical, sinon, c’est le pourrissement et la mort pour tous les deux. La création ne supporte pas la stagnation. Alors le créateur expose son œuvre. 

Ou plutôt, son oeuvre expose le créateur.

Et le pire, étonnamment, n’est pas l’insuccès, mais bel et bien le succès. Que faire quand l’œuvre est unanime à plaire? On la vend. Mais le prix n’est jamais le bon, il est toujours trop élevé ou pas assez. Jamais juste, et c’est bien normal, parce qu’une œuvre d’art n’a pas de prix.

Elle devrait revenir à celui qui l’aime le plus. Et quand il ne l’aime plus, parce que leur histoire d’amour est terminée, il devrait l’offrir au prochain amoureux. L’art ne peut appartenir à personne, l’art ne peut que servir, mais nous commençons à peine à comprendre cela.

C’est tout cela qu’elle vient de bouleverser, l’astrologue de renom avec son aiguille de vérité. Elle me fait voir que l’ego était en train de prendre une place insidieuse dans mon œuvre et que le créateur devenait plus important que la création. Je n’étais plus au service, j’avais besoin d’une piqûre d’humilité.

Je peux désormais retourner à mon écriture.








Aucun commentaire: