Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mercredi 3 décembre 2014

Jour 11

LE RÊVE

 Le jour pointe quand je me réveille. Je me lève en catimini et griffonne un mot pour Arnaud : «Je vais me tremper les pieds dans la mer. À tout de suite». La plage est à trois minutes, l’air vif du petit matin me fait briller les yeux. Je suis remplie d’un plaisir de vivre renouvelé par ce départ improvisé d'hier. J'adore ce genre de coups d'accélérateur. 

On ne peut pas vraiment dire qu’il fasse chaud, mais il fait doux, et surtout, le ciel est complètement dégagé. Je longe une rue silencieuse, puis une autre à angle droit entre les maisons; au bout, un petit chemin en terre et la plage. Dans l’armoire communautaire de la chambre, j’ai attrapé une paire de tongues que je retire maintenant pour marcher pieds nus dans le sable. J’approche de l’eau, je laisse la vague mourante me tremper les chevilles. Brr, elle est froide, tout de même. 

Je marche ainsi quelques minutes, les pieds au frais, en admirant le lever du soleil. Je respire à fond. C’est bon la vie. Quand je fais demi-tour pour retourner au gîte, j’aperçois Arnaud qui m’a rejointe. On se fait des grands signes de loin et un hug de près. 

— Bien dormi?
— Comme un bébé, me dit-il.

Nous marchons encore un moment ensemble puis nous asseyons pour admirer méditativement le soleil qui grimpe sur l’horizon. Le bruit des vagues, le cri des mouettes,… voilà une journée magnifique qui commence.

— J’ai faim, déclaré-je.

De retour au gîte, dans la cuisine commune, Suzanne s’affaire déjà; elle a préparé du café dont l’odeur nous allèche à distance. Saluts joyeux, embrassades, elle aime être là pour accueillir les hôtes de la nuit.

La maison lui appartenait déjà du vivant de son mari et il faisaient chambre d’hôtes depuis plusieurs années quand il est décédé. Au bout de quelques temps à vivre là seule, la charge de l’entretien devenant un peu lourde, elle a cédé la propriété au réseau. Elle profite de temps en temps de se balader dans les autres maisons, mais le plus souvent, elle vit à Perpignan, parce qu’elle aime vraiment cet endroit. Et puis son truc, à elle, c’est le brunch. Elle adore composer ce repas qu’elle varie tout le temps, elle est la championne du brunch, largement connue et appréciée pour cela dans le réseau.

Nous nous racontons mutuellement alors qu’elle casse des œufs frais de ses poules heureuses dans la poele pour une grosse omelette. Quelle n’est pas ma surprise de voir alors arriver Hans! Il est encore tout endormi et ne me reconnaît pas tout de suite.

— Quelle bonne surprise! Qu’est-ce que tu fais là? me demande-t-il, joyeux.

Je lui raconte mon départ à l’impulse avec Arnaud que je lui présente et j'évoque notre destination.

— Tu te joins à nous?
— Ah, ce serait avec joie, la cueillette des olives au Portugal, c'est tentant, mais je suis ici pour construire une maison en rondins pour des amis, dans un village à quelques kilomètres. D’ailleurs, il faut que je trouve une jeep pour aller couper le bois dans la forêt, dit-il avec un regard en coin. 

Il a repéré la nôtre sur le parking. Quelques coups de fil, et l’affaire est arrangée. Pablo, à qui nous devions laisser la voiture, n’en a pas besoin dans l’immédiat. Ce n’est pas qu’elle lui appartient vraiment, mais comme il s’occupe justement des forêts, il l’utilise souvent. Sauf qu’en décembre, il respecte le sommeil des arbres et de ce fait, il n’aura pas vraiment besoin de «son» véhicule avant le printemps. De plus, il est intéressé à cette construction de maison en rondins, voilà qui fait donc bien l’affaire de tout le monde.

Des années qu’il fait hommes des bois, Hans. Avant, dans une vie antérieure, il était derrière un écran informatique toute la journée et gagnait un gros salaire. Et puis quand le système a commencé à s’effondrer, il a été un des premiers à être éjecté. Il a bien galéré pendant un temps, mais ça lui a permis de savoir ce qui lui plaisait vraiment; et ce qui lui plaît vraiment, c’est de construire des maisons en rondins, des tipis. Il est fan de culture amérindienne, il est chaman dans l’âme. Alors quand les réseaux se sont mis en place, là encore, il fut l’un des premiers à faire partir de la vague.

— Au fait, comment il a démarré, le réseau? demande Suzanne.
— C’était méchamment dans l’air depuis lurette, mais je crois que ce qui a déclenché le mouvement, c’est un blog anonyme. Une nana qui n’en pouvait plus de son mal de vivre et qui s’est mise à rêver tout haut sous pseudo. Au début, personne ne lisait ses articles, elle les écrivait surtout pour elle et pour une amie qui déprimait à l’entrée de l’hiver, ce qui la motivait à écrire quotidiennement. Et puis la mayonnaise a pris, le bouche à oreille a fait le reste, et son blog a fait le buzz. Un jour, un mec super friqué qui ne savait pas quoi faire de son argent l’a contactée en lui disant qu’il avait besoin de «faire le bien» avec sa fortune. Il avait longtemps travaillé dans la finance et avait gagné gros. Il avait placé son argent çà et là, des opérations rentables qui lui assuraient une abondance de tout, sauf de signification. Il n’en pouvait plus de la vanité de sa vie et il cherchait une idée qui donne du sens à son existence, qui nourrisse son âme. Ils ont déliré sur des idées, et puis ils ont passé à l’acte. Il a mis plusieurs de ses maisons à disposition de tous, et ils ont établi une charte de fonctionnement pour le réseau. Ils ont réussi à rassembler un noyau de gens de bonne volonté qui ont dû mettre bien de l’énergie, au début, pour faire comprendre le concept, mais il faut croire qu’il était mûr, puisqu’au final, il y a eu très peu de couacs, quand on considère l’empleur de l’entreprise. Aujourd’hui, le réseau n’a plus d’administration centrale, c’est chacun qui se sent responsables des biens et du bien de tous.
— Comment tu sais tout ça, me demande Hans?
— Je me suis intéressée à la genèse du projet, dis-je brièvement. 

Pas envie de dire que la blogueuse, c’est moi. Je n’ai pas fait cela pour être vedette; la star, c'est l'idée, je n'en suis que la messagère.

— Bon, c’est parfait tout ça, mais nous voilà à la recherche d’un moyen de transport jusqu’au Portugal, ajouté-je pour changer de sujet. 
— Nous allons jusqu’à Barcelone, nous avons deux places, si vous voulez, dit Fernando avec un fort accent espagnol. 

Lui et sa fille ont dormi dans la chambre voisine et nous ont rejoints il y a quelques minutes. 

— Barcelone, dis-je à Arnaud, j’aimerais tellement revoir la cathédrale de la Sagrada Familia que je n’ai pas revue depuis les années 70. On a le temps de s’y arrêter?
— Oui, pas de problèmes, j’ai promis d’être à Sines le 6 décembre au plus tard, nous sommes le 3.
— Départ dans une heure, ça vous va? demande Fernando.
Sa fille de quatorze ans, Isabella, a les yeux qui pétillent; elle et Arnaud ont établi une complicité immédiate à la première tartine et elle est ravie à l'idée de ne pas se quitter si vite.

Elle est pas belle, la vie?


Aucun commentaire: