Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mercredi 31 décembre 2014

Jour 36

LE RÊVE

Retour à l’atelier, Paola défourne le biscuit. J’aime bien la couleur de ces fournées. De tons de gris et brun sale, les pièces sont maintenant blanches et beiges. Encore fragiles, parce que le tesson n’est pas cuit à maturation, nous pouvons désormais manipuler nos pièces aisément. J’aime bien la gestuelle que requiert l’argile crue: attention de ne pas attraper une tasse par son anse, car elle nous resterait dans les mains. La matière n’est pas assez solide pour résister à son propre poids. Cette exigence provoque des gestes délicats, les mêmes qu’on adopte pour s’occuper d’un bébé.

Ce matin, pour la première fois, les pièces ont leur cohérence physique. La cuisson est terminée depuis hier soir, mais ce matin, les pièces sont encore chaudes et Paola défourne avec des gants épais. Le contenu du four est disposé sur la grande table de l’atelier, on dirait un tour de magie.

— Il y avait toutes ces pièces dans un seul four? s’étonne Camille.

Nous avons une grande journée d’émaillage devant nous. Un peu de théorie, d’abord. Paola choisit des mots simples, mais comme elle parle en espagnol, je ne comprends pas tout. Pas grave, comme je connais le métier, je ne fais que noter les mots de vocabulaire professionnel. L’émail, c’est encore des matières minérales, ici, réduites en poudres. Pour la haute température, c’est principalement des feldspaths, de la silice. Un peu de craie pour le fondant et d'autres roches, et puis les oxydes pour la couleur. Cobalt pour le bleu, fer pour les tons dans les rouges-bruns, le vert s’obtient avec du cuivre ou du chrome, etc. Nous travaillons avec des échantillons qui donnent une idée du rendu final, mais chaque cuisson est différente. La développement de l’émail dépend non seulement de sa recette, mais aussi de la cuisson. À cette température, difficile d’avoir une homogénéité dans le four. Généralement, c’est sensiblement plus chaud en haut — normal, la chaleur monte. La réussite d'une cuisson tient beaucoup à l’enfournement. Il faut construire un four compact, faire en sorte que les pièces soient le plus proche possible les unes des autres afin de conserver la chaleur. Elles ne doivent impérativement pas se toucher, sinon, elles collent et alors, impossible de les séparer. L’alchimie de la cuisson, c’est la silice contenue dans la terre et dans l’émail qui vitrifie à 1700°. Elle subit alors une transformation irréversible qui la rend inerte.

— Irréversible, ça veut dire que ce n’est pas recyclable, alors? demande un participant.
— Exact. C’est pourquoi on retrouve des poteries qui datent de milliers d’années. Et à bien y réfléchir, la bombe atomique a exactement cet effet-là. La chaleur est telle quand elle explose qu’elle vitrifie la silice de la terre, qui est à peu près partout dans la croûte terrestre. 
— Ah oui, je n’avais jamais pensé à cela.
— Oui, mais si la silice se transforme à 1700°, dans ta cuisson à 1300°, elle ne va pas fondre?
— Si, parce qu’on ajoute des fondants comme la craie, certains feldspaths… C’est déjà difficile de faire monter un four à 1300°, car il doit être construit avec des pierres réfractaires qui, elles, ne fondent pas, alors à 1700°, tu oublies!

Les matières premières sont insolubles, et elles sont dans de l’eau pour faciliter leur application. Elles se déposent plus ou moins rapidement au fond du bidon, il faut alors refaire un bain crémeux et homogène en brassant avec une spatule avant d’y tremper les pièces biscuitées. Encore très poreux, le tesson va alors absorder l’eau très rapidement, et l’émail se dépose sur la surface. Il faut ensuite laisser sécher le tout quelques minutes, et puis retirer l’émail sur le dessous des pièces qui sera en contact avec le four. Sinon, la pièce collerait à la plaque, et les deux seraient gâchés. L’émail cru est délicat, on peut le manipuler, mais il faut le faire avec précaution. Certains émaux sont plus solides que d’autres, là encore, ce sont des gestes délicats qu’il faut adopter. 









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