Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mardi 16 décembre 2014

Jour 23

LE RÊVE

— Et depuis, tu as des nouvelles? demande Kevin.
— Non, pas récentes, dit Ana. Mais la vie s'est chargée de lui servir la monnaie de sa pièce. Aux dernières nouvelles, il avait monté un nouveau marketing de réseau, mais il ne faisait plus illusion, ça ne marchait pas du  tout. Après, je m’en suis désintéressée. Chacun sa route, chacun ses leçons de vie. Personnellement, j’ai passé à autre chose, mais un petit groupe du Pokus n’a pas lâché la rampe. Ils ont bossé à faire renaître l’idée.
— Ah bon? Ils n’étaient pas découragés? Totalement écœurés?
— Il faut croire que non. Une fois de plus, l’idée est bonne. Moi, j’y ai toujours cru, cette idée d’abondance, de solidarité, c’est un truc qui est profondément en moi. Pas vous?
Tout le monde est d'accord sur le fait que c'est une part de ce qui fait de nous des humains.

— Ce concept «ensemble», il résonne fort en moi depuis un bon moment, dis-je. C’est dans ma nature, mais je crois que c’est en chacun de nous. L’humain est grégaire. Seul, il dépérit. On a fini par l’accepter. Et franchement, je crois que le Jeu y a été pour beaucoup, non? Est-ce qu’il y en a parmi vous qui jouent?

Sur les onze personnes qui participent à ce forum improvisé, neuf lèvent la main. Nous éclatons de rire.

— Ah mais alors tout le monde sait de quoi je parle? s'exclame Ana.
— Non, dit Laurence. Moi j’ai découvert le Jeu il y a six mois, grâce à l’un de mes fils. J’ignorais complètement qu’il avait une telle histoire; c’est beau, je trouve.
— C’est drôle. Qu’est-ce qui vous plaît, dans le Jeu, alors?
— Moi c’est le jeu en soi. Les stratégies, les gains, dit Bruno.
— Moi j’aime surtout distribuer mes gains. Ceux qui doivent aller aux œuvres. Je parcours toute la liste des œuvres inscrites pour les dons, et je me régale. Il y a des projets dingues. En général, je choisis celui qui a reçu le moins ou les nouveaux inscrits. Ensuiute, je suis l'évolution des projets, c’est super. J’ai aussi ceux auxquels je suis fidèle.

Elle nous raconte alors comment elle va vu un projet d’école en Inde progresser et s’épanouir. Elle parraine trois enfants dans cette école, elle leur écrit, elle projette d’aller les voir bientôt.

— Perso, c’est le tchat que j’apprécie le plus, dit Arnaud. Surtout quand j’ai des insomnies. Je me connecte et je vais voir où ça joue. La nuit, c’est évidemment sous d’autres tropiques. Je fais des coucous aux gens connectés, je place une ou deux positions, et ensuite, on discute. J’ai rencontré des gens super. Des fois, on fait le voyage pour se voir en vrai.
— Alors moi, depuis que j’ai un compte sur le jeu, ma boutique en ligne pète le feu.

Elodie fait des bijoux qu’elle vend sur internet. Ses contacts dans le jeu lui ont amené une clientèle qui apprécie ce qu’elle fait.

— Pour en revenir à la petite histoire, comment il a ressuscité, le Jeu?
— Comme je disais, un petit groupe a voulu continuer. Un peu fauchés après cette seconde déculottée — le Pokus après les cercles d’abondance — ils ont d’abord dû se refaire. Ils ont cherché un travail alimentaire tout en continuant à se réunir. Même éparpillés géographiquement, ils se contactaient régulièrement par skype. L’idée continuait à faire son chemin; l’informaticien continuait à développer, mais à la petite semaine, car il n’avait que peu de temps à y consacrer par jour. Ils ont fait cela sans plus rien dire publiquement. Cette leçon-là au moins a été apprise: ils ont décidé de ne communiquer que quand ils auraient quelque chose à dire. Plus de promesses, des faits.
— Mais personne n’a demandé de comptes?
— Mais non. Jimmy parti, ils ont tous pensé que le responsable était hors d’atteinte. Et puis chacun avait affaire à son parrain, pas aux gens du bureau. Et puis c’était un jeu, ils avaient joué et perdu, basta. Je crois que certains ont demandé à leur parrain de les rembourser, je ne sais pas comment ils se sont arrangés.
— Personne ne t’a demandé, à toi?
— Une personne. Je lui ai d’abord avoué combien j’avais perdu, moi, et que je n’avais pas l'intention de demander à mon parrain de me rembourser cette somme, donc, je n’avais pas les moyens de la rembourser elle. Elle a fermé son caquet quand elle a su que j’avais perdu dix fois plus qu’elle. Mais bon, je n’ai jamais considéré cet argent comme «perdu». J’ai joué, j’ai cautionné une belle idée, je ne regrette rien. J’ai appris qu’il ne faut pas faire confiance aux gens, mais aux idées. Et j’ai eu raison puisqu’au final, puisque l’idée est aujourd'hui réalisée. Et si je suis tranquille financièrement, maintenant, c’est en grande partie grâce au Jeu qui me procure des revenus réguliers.
— Oui, mais comment ça a fini par marcher?
— Persévérance. Le comité continuait ses efforts. Le plus dur, ç’a été de trouver comment et quoi faire pour que ce soit impossible de niquer le projet. Ils ont mis du temps, c’était ardu. Première chose, c’était important que le Jeu soit complètement automatique. Revenir avec un système de managers à l’instar des marketings de réseau, d’avance, c’était mort. Seuls les managers gagnaient vraiment de l’argent en ayant des bonus sur les gains de leur descendance. Il fallait stopper cela. Légitimement, seulement les joueurs devaient recevoir des gains. Jimmy avait sournoisement grignoté le pourcentage pris sur les gains pour les frais de gestion du Pokus, ils l’ont remis à un niveau décent et puis ils ont simplifié la plateforme qui étaient devenue un fatras incompréhensible de nature à faire fuir les joueurs. Plus d’interminables séances d’explication d’un jeu compliqué, mais des vidéos courtes et surtout, la plateforme de jeu sans argent où on peu jouer de façon illimitée. Mais pour en arriver là, il y a eu encore bien des heure à ramer. L’argent manquait toujours, il n’y avait que six ou sept abeilles dans la ruche pour produire le miel… Et puis un jour, un magistral coup de pot. Une rencontre, un hasard. Un mec friqué qui entend parler du projet, il trouve l’idée géniale, il ouvre un compte illimité pour mener à bien le projet.
— Incroyable!
— Il n’a rien demandé en échange?
— Mais non. Il faut croire que le projet était mûr. C’est sûr que depuis le début, ce concept était prévu pour le nouveau monde. Tant que l’ego tenait les rênes chez la plupart d’entre nous, ça partait en cacahuète. Comment et pourquoi l’ego a été relégué à sa juste place, c’est-à-dire en arrière-plan, ça, c’est une autre histoire. Il se trouve qu’aujourd’hui, l’éthique collective est prioritaire. L’autre n’est plus une menace, mais un allié potentiel. On ne cherche plus comment s’en protéger, mais à découvrir le point d’entente. C’est le grand changement de ces dernières années. Dès lors, tout est possible. Le Jeu est arrivé à point nommé pour manifester cela: ensemble, on change le monde.
— Oui, je me rappelle, c’est allé très vite. C’est surtout dans les pays pauvres que ça a fait un bien fou.
— C’est vrai. Et ouvrir des niveaux d’entrée de Jeu à deux francs fut une idée lumineuse également. C’était accessible pour tout le monde sur la planète.
— J’étais en Afrique quand le jeu est arrivé à Abidjan. Ç’a été une traînée de poudre. On a vu les choses changer en un rien de temps. Au début, c’était un peu chaud. Les premiers gagnants ont été jalousés, il y a eu quelques bagarres, mais ils ont vite compris qu’ils pouvaient tous gagner, alors on a vu une belle cohésion s'installer. C’était aussi l’époque où le revenu de base inconditionnel se généralisait, les gens se détendaient, on commençait à croire que c’était la fin de la pauvreté. Tu imagines la joie qui montait? C’était une période magique.

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