Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

jeudi 11 décembre 2014

Jour 18

LE RÊVE

Il est 7h quand je me réveille; il fait encore nuit, mais la profondeur du bleu de la nuit est déjà éclaircie par la promesse de l’aube. Entre chien et loup, comme on dit. J’aime ce moment qui n’appartient plus à l’ombre mais qui n’est pas encore la lumière. Il y a là une paix dense et furtive qui recèle une énergie singulière. Le ciel est dégagé, il va faire beau. 

Je descends à la cuisine pour boire un verre d’eau, Ana est déjà réveillée, elle aussi. Nous nous souhaitons le bonjour à voix feutrée.

— Au fait, je ne me suis même pas renseignée; on commence à quelle heure? lui demandé-je.
— Quand on veut. C’est pas l’usine, tu sais. Les contremaîtres commencent à 7h30, ils s’occupent d’organiser la journée, et en général, tous les bénévoles sont sur place à 8h. On n’est pas tenu de travailler tous les jours, des fois, certains partent pour visiter le pays. Il y a bien assez de monde, on peut faire des tournus. C’est sympa, j’aime bien cette ambiance où personne ne se sent obligé de quoi que ce soit, et pourtant, tout le monde est là et le travail est fait. Ambiance géniale au milieu des oliviers, tu verras.

Nous nous faisons un café que nous dégustons sur la terrasse, enroulées dans des ponchos. C’est tout de même de décembre et c’est l’aube, le thermomètre indique peu de degrés.

— Mais il va faire chaud; tout à l’heure, on travaillera en t-shirt, tu verras, me rassure mon amie.

Elle me raconte encore un moment leur périple en Ecosse et en Irlande. La magie des paysages, la gentillesses des gens, leurs aventures… Puis les garçons nous rejoignent avec le petit déjeuner, après quoi nous nous rendons à l’oliveraie. Effectivement, l’organisation est bien rôdée. Nous partageons le même olivier avec Ana et nous travaillons tout en papotant. C’est que nous avons des semaines d’absence à rattraper! Au bout d’une heure ou deux, pourtant, nous cessons de bavarder et gardons notre souffle pour le geste de la cueillette. Je vis un moment magique, je suis ravie d’être ici. J’ai bien fait de venir.

À midi, des bénévoles nous amènent le pique-nique qu’ils ont préparé de leur propre chef pour tout le monde et que nous mangeons en bordure des arbres, au soleil. Nous sommes assis avec un petit groupe de francophones avec qui nous faisons connaissance. Bruno et Laurence, des Bretons, ont ouvert une école dans le Lot. Lui était policier et elle secrétaire en Bretagne. Un jour, ils en ont eu marre de leur vie conventionnelle et ennuyeuse qui les usait à petit feu et mangeaient la joie, alors ils ont vendu leur maison pour acheter une ruine dans le Lot. Ils l’ont retapée et quand ce fut fini, ils ont trouvé que leur jardin serait bien avec une ribambelle d’enfants. Les leurs, deux garçons devenus adultes, n’étant pas encore prêts à faire d’eux des grands-parents, ils ont commencé par faire famille de jour. Ils s’occupaient de quelques enfants à midi et à quatre heures après l’école. De fil en aiguille, ils ont ouvert des ateliers de bricolage. Puis le projet s’est organisé en petit école où ils enseignent toutes sortes de travaux manuels, de la sculpture à la poterie en passant par le tissage, le tricot, la peinture. Ils engagent des animateurs en free lance, le temps d’un atelier sur quelques semaines. 

Ils nous parlent de ces enfants et de leurs talents. La plupart ont une créativité débordante qui jaillit avec naturel.
— Finalement, j’ai parfois l’impression d’apprendre plus d’eux que je leur enseigne, dit Laurence.
— Ils sont télépathes, dit Bruno.
— Ah bon? fait Ana.
— Je t’assure, il m’arrive souvent de chercher mes mots pour donner une explication. J’ai pas fini de formuler ma phrase dans la tête qu’ils disent qu’ils ont compris, comme s’ils avaient lu dans mes pensées. J’ai fini par trouver ça normal.
— Je me sens tranquille avec eux, ajoute Laurence.
— Comment ça?
— En sécurité, tranquille. Je me sens libre d’être moi-même, j’ai de l’espace. Je sais pas comment dire… Je redeviens enfant avec eux, mais sans être infantile. Tout est simple, tranquille. Je peux pas mieux dire. Ce que je préfère, c’est leur regard. Il y a notamment une petite Marie de trois ans qui a un regard …cosmique. Des yeux bleu-vert presque fluorescents. Quand elle me regarde, j’ai l’impression qu’elle voit mon âme. Elle voit même des choses que je ne vois pas. La première fois, ça m’a foutue vachement mal à l’aise, jusqu’au moment où j’ai senti que si son regard me pénétrait complètement, en même temps, elle n’avait aucun jugement. 
— Ah oui, j’ai eu cette expérience aussi, dis-je. Je me suis rappelée de cette phrase du film Avatar: «je te vois». Qui signfie qu’on ne peut rien cacher, parce que l’autre voit les choses. J’ai eu un sentiment de grande paix.
— C’est ça que je veux dire quand je dis «tranquille», aquiesce Laurence. Et dans ce regard, il y a une vraie joie. Impossible d’être de mauvaise humeur ou de ne pas avoir le moral quand elle est là! Et puis alors ils ont compris des choses déjà à leur âge que moi j’ai comprises il n’y a pas longtemps. Ils sont incroyables. On a l’impression que pour eux, tout est simple. Qu’est-ce ça fait du bien. 

Tous les deux sont intarissables. Leur enthousiasme est si contagieux et leurs histoires tellement magiques que je me promets d’aller faire un tour dans le Lot un de ces jours. Ils me disent que je serai la bienvenue.

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