Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

dimanche 14 décembre 2014

Jour 21

LE RÊVE

La vie est un délice au Portugal, dans cette oliveraie majestueuse. Après quelques jours pleine de courbatures, je passe désormais la journée à cueillir les olives avec aisance et plaisir. Il fait beau, mais pas chaud au point de travailler en t-shirt. Nous arrivons au bout, la récolte sera terminée ce soir. La pression des olives a commencé, c’est un travail impressionnant.

Nous faisons la pause de midi avec un petit groupe de gens de même affinités. Il y a nous quatre, Bruno et Laurence, Amy, une Américaine, et Kevin, un Australien. Nous mélangeons alllègrement les langues, et tout le monde se comprend. L’ambiance est très joyeuse. Je ne sais plus comment la conversation y arrive , mais nous parlons d’argent et du Jeu. Un jeu d’argent, en ligne depuis plusieurs années. Un concept amusant qui permet de redistribuer équitablement des fonds tout en jouant et en grimpant dans des niveaux.

— Comment il a démarré, ce jeu? demande Amy.
C’est le dada d’Ana, elle est intarrissable sur le sujet.
— Tu as connu des cercles d’abondance? 
— Non.
— Alors je vais y venir, mais encore avant les cercles d’abondance, il y a eu le jeu de l’avion. On entrait dans le jeu comme passager en payant une somme au pilote en place. Sous le pilote, il y avait deux co-pilotes, quatre stewards et les passagers. Pour être pilote et s’envoler, ce dernier devrait avoir un équipage complet, c’est-à-dire les huit passagers qui payaient leur place. Il y avait des avions à 100 francs, d’autres à 1000 francs, certains ont même joué très gros, il y avait des avions de luxe à 10’000 francs la place. Fais le compte, le pilote touchait dans ce cas 80’000 francs et sortait du jeu. Les co-pilotes devenaitent pilotes en attente d’un équipage complet, etc… 
— Oui, un système pyramidal? Illégal, non?
— Oui, on a dit aussi un scam à la Madoff qui a utilisé cette idée plus tard, mais si tu regardes bien, le système monétaire et le système en général fonctionne comme ça. Il y a des hiérarchies partout. Le jeu de l’avion a démarré très fort, et ça a bien marché pendant un temps. Idéalement, il aurait fallu obliger les pilotes à reprendre au moins une place de passager dans un autre avion. Certains l’ont fait, mais malgré tout, le mouvement s’est vite essoufflé. Et puis on s’est rendu compte que c’était illégal quand on se rencontrait dans des lieux publics pour échanger l’argent, bref, ce fut un échec cuisant. Nous n’avions pas encore un esprit collectif comme maintenant, mais ça nous démangeait, je pense que c’est pour ça que ça attirait quand même pas mal de monde. L’idée était belle, il y avait beaucooup de gens qui y croyaient: la solidarité, l’entraide jouer le jeu jusqu’au bout. C’est rigolo, d’ailleurs, parce que quand c’est des privés qui utilisent un système pyramidal, c’est illégal, mais quand c’est les banques, on ne voit pas le problème. Bref… Si on observe bien, ce système n’a rien de mauvais en soi, si tout le monde joue le jeu honnnêtement. Tout est bien allé dans l’économie tant qu’il y avait une éthique. Quand les emplois étaient bien rémunérés, quand l’argent était mieux réparti, il existait une énorme classe moyenne plutôt aisée, consommatrice et créatrice d’emploi du genre babysitters, femmes de ménage, etc. Et puis les riches ont eu besoin de plus d’argent, tout a été aspiré vers le haut et la classe moyenne s’est scindée, une partie vers le haut, une autre vers le bas. Des riches plus nombreux et plus riches, des pauvres plus nombreux et plus pauvres, et plus de classe moyenne. Et puis les choses se sont salement gâtées. En fait, le jeu de l’avion a démontré cela de façon flagrante: les pilotes n’ont pas rejoué le jeu, n’ont pas remis de l’argent à la base, et le jeu a foiré. Dans la société, les riches ont confisqué l’argent, ne l’ont plus redonné à la classe moyenne qui a disparu. 
— Ah oui, tiens, je n’avais envisagé les choses ainsi, dit Kevin. C’est parfaitement exact. 
— Il faut croire que le besoin et l’envie de partager étaient forts, parce que l’idée a réémergé. Cette fois, sous forme de cercles. On entrait dans le cercle avec une somme d’argent, il fallait trouver deux personnes et non plus huit. Un parrain, deux filleuls et c’est le filleul du filleul qui faisait gagner le parrain. 
— Comment ça?
— En fait, c’était toujours pyramidal, mais la hiérarchie était réduite. Dans l’avion, c’est la troisième génération qui te faisait gagner des sous comme pilote. Dans les cercles, deux générations seulement. C’était plus direct. On a même créé des cercles où il n’y avait pas d’obligation de trouver des filleuls, on attendait qu’il entrent, attirés par le bouche à oreille. Un bel idéalisme appliqué. Dans ces cercles-là, il y a en qui attendent toujours… Là encore, le facteur humain non évolué l’a emporté. Encore trop d’ego collectivement, même si beaucoup d’entre nous ont joué le jeu à fond et remis leur argent en jeu. Les gens voulaient surtout gagner, sans voir que dans un tel système, on ne «gagne» rien, on redistribue, on fait circuler. 
— Mais ça s’arrête forcément un jour, dit Bruno.
— Non pourquoi?
— Ben…
— Les gens qui travaillent gagnent de l’argent tous les mois. Tous les mois, ils le dépensent. Il vient d’où, l’argent?

Bruno reste pensif quelques secondes, puis constate:

— T’as raison, sur la masse, ça ne fait que circuler.
— Oui, mais il y a bien un moment où il n’y a plus assez d’argent, dit Laurence.
— Dans ce cas, les gouvernements impriment des nouveaux billets.

Pendant quelques minutes, on commente collégialement cette prise de conscience.

— Ah oui, la grande illusion de croire que l’argent est limité! dis-je. Mine de rien, c’est là-dessus que reposent pas mal de choses, notamment la grande peur du manque. Dès le moment où on considère que les moyens sont illimités, ça devient évident qu’il faut faire circuler en grand. À quoi bon garder des sous, à quoi bon thésauriser quand la source est permanente? 
— Voilà! C’est quand on a commencé à comprendre cela globalement que les riches ont trouvé que le jeu n’était plus marrant du tout. Ils sont alors partis à la conquête du pouvoir. Et comme le pouvoir peut s’acheter, ils ont eu encore besoin de beauoup d’argent. Ça a donné le chaos des premières années du siècle, parce que — et je parle toujours de conscience collective — on ne comprenait plus le but. Ce n’était plus l’argent, c’était le pouvoir, mais la différence n’était pas évidente. L’étape suivante du Jeu en a été la grande révélation.
— Au travail, les gens! nous interpelle joyeusement Roberto.
Nous levons le nez, nous sommes les derniers encore à table. 
— Argh! Je veux la suite ce soir, dit Kevin.


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