Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mardi 13 janvier 2015

Jour 49

LE RÊVE


Les jeunes posent des tonnes de questions, ils veulent tout savoir. J’hésite à dire certaines choses, je trouve tellement beau que nos boulets ne soient plus accrochés à leurs pieds. J’aimerais que ces mémoires ne les empêchent pas de voler, même si c’est drôlement bien de mesurer le chemin parcouru en si peu de temps. Je poursuis, toujours à leur grande jubilation:

— Il y a eu un saut de quanta à un moment. Difficile de dire le moment exact où les choses ont basculé. Le chaos empirait tous les jours. La violence augmentait, la désinformation régnait. Pendant longtemps, les images ont fait foi. Elles étaient le témoin indiscutable, mais avec les technologies modernes, n’importe qui pouvait monter une video où on voyait… une soucoupe volante, par exemple. Du coup, on ne savait plus ni qui ni quoi croire. C’était une période difficile, il fallait aiguiser son discernement sans pouvoir toujours avoir une confirmation. Alors on a commencé à avancer avec notre instinct et en cela, c’était très bien. Plus de «prêt-à-penser», on décidait de croire ce qu’on voulait croire. Nous avons appris malgré nous à affermir et affirmer nos croyances selon notre intime conviction. Ça nous a obligés à revisiter nos valeurs. En qui ou en quoi décidions-nous croire? Vers quoi avancions-nous? Comme il n’y avait plus de référence, ç'a été le gros pétchi, il faut bien le dire. La religion n’avait plus que des dogmes creux à proposer et la plupart des prêtres étaient dans le «faites comme je dis mais pas comme je fais». On découvrait beaucoup de perversions, sexuelle ou autre, chez des gens censés donner le bon exemple. L’éducation nationale n’avait plus voix au chapitre, quand une institutrice réprimandait un élève un peu trop fermement, elle risquait un procès. Les parents, démunis, désargentés, étaient trop épuisés, le soir, pour inculquer à leurs enfants des valeurs effritées en lesquelles ils ne croyaient plus eux-mêmes. Ou alors, argentés, ils n’avaient pas le temps, entre le tennis et le golf, d’éduquer leurs enfants. 

— Ça fait mal d’entendre ça, dit Aline.
— Oui, c’était douloureux à vivre. Pour ma part, j’ai eu souvent des coups de blues profonds à cause d’un gros sentiment d’impuissance. Je faisais ma part, mais impossible de pallier tous les manques de tous les enfants, ni de résoudre tous les problèmes des parents, pour ne mentionner que ce problème-là. Et puis j’ai eu mon lot de difficultés, aussi. Il fallait du courage pour avancer debout. Mais ce fut payant, puisqu’un jour, ça a basculé.
— Quand?
— Je le répète, difficile de savoir exactement quand ni même où. L’opinion commençait à être unanime au sujet des événements du 11 septembre 2001, mais ce n’était toujours qu’une opinion. Et puis la vérité a éclaté, les preuves étaient irréfutables. Alors là, ce fut une grosse sonnerie de réveil-matin. Entre l’intime conviction et la réalité avérée, il y a un positionnement totalement différent. On peut se douter que le gouvernement nous ment, mais tout reste pareil tant que ce n’est qu’un doute. Le jour où c’est une preuve, on est obligé de passer à l’acte. Il y avait eu plusieurs actes terroristes ainsi prédigérés: on a eu les images de l’événement en live, on retrouvait très vite des passeports miraculeusement intacts dans les décombres et une malheureuse course-poursuite jugeait, condamnait et exécutait les présumés coupables avant que la justice — oh zut! — ne puisse le faire. Après, les preuves affluaient, c’étaient les terroristes, les Musulmans, les Roms, les rouges, les bleus… n’importe qui du moment que la haine était attisée. Et puis un jour, collectivement, on a cessé d’être dupe. On a répondu à la haine par l’amour. Ça devait mijoter depuis un bon moment, parce que c’est arrivé comme ça, naturellement, d’un peu partout. Mon moment préféré, c’est quand, à force de désinformation et de mensonges, l’Europe a été a deux doigts de la guerre civile. Les armées étaient mobilisées, on savait que ça allait péter, et puis un matin, un groupe de soldats a déposé les armes. Ils les ont posées en tas au milieu de la caserne, ils ont ôté leurs uniformes et ils sont rentrés chez eux en disant qu’ils n’avaient pas envie de tuer d’autres hommes, peu importaient les raisons données ou les ordres reçus. La grande mutinerie a fait boule de neige en quelques heures. En quelques semaines, toutes les casernes furent désertées. Ce fut l’un des plus beaux jours de ma vie.











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