Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 30 janvier 2015

Jour 66

LE RÊVE


Encore personne dans la cuisine à cette heure-là, nous savourons un petit déjeuner dans le silence du petit matin. Nous discutons de la soirée magique que nous venons de passer.

— Ils me font du bien, ces jeunes, dis-je. Ils avancent dans la vie tellement autrement que nous. Ils n’ont pas nos boulets aux pieds… Est-ce que, finalement, nous serions arrivés à leur offrir mieux que ce monde-poubelle qui existait encore il y a peu?
— Je crois que ce sont eux qui les ont éliminées. Ils sont arrivés avec une autre énergie, ce sont des mutants. J’ai toujours aimé m’occuper d’eux. J’ai un projet en tête depuis longtemps. Dans ma maison des Cévennes, je veux créer un centre d’accueil pour les jeunes comme Alice, qui se sentent décalés, pas à leur place. J’ai déjà travaillé avec des jeunes en difficulté, et aussi des autistes. Quand on leur fournit un environnement adéquat, ils font des progrès énormes. Tu sais que la plupart d'entre eux sont aussi et surtout des électrosensibles? On a nettement amélioré la technologie ces dernières années, et le nombre d’autistes ou d’enfants avec des maladies neurologiques bizarres a nettement diminué aussi. Dans les Cévennes, ma maison est isolée, il n’y a pas de pollutions, l'environnement est idéal pour les hypersensibles. 
— Et pourquoi tu ne l’as jamais mis sur pied, ton projet?
— Il me manquait l’impulsion, j’avais toujours un meilleur plan qui se présentait. Une rencontre, un voyage, une activité dans le Réseau qui m’enthousiasmait et je remettais à plus tard. Je n’ai pas renoncé, il me manque le déclic, c’est tout. Je le ferai un jour.
— Tu sais que moi aussi, j’adorerais procurer quelque chose aux jeunes. Moi, mon truc, c’est les bébés. En fait, les mamans et les bébés. Il y a énormément qui se joue entre la naissance et cinq ou six ans, c’est une bulle merveilleuse et qui passe tellement vite. Mon idée serait de procurer aux parents, mais surtout aux mères et aux bébés. un espace et un temps privilégiés pendant lesquels les meilleures choses de la vie puissent être vécues sans parasites. Sans le ménage à faire, la lessive, les courses. J'ai donné, il y a longtemps, des cours de massage maman-bébé qui sont une petite merveille. Le toucher est tellement important, surtout dans les premières années de vie, et on passe complètement à côté. J’aimerais également faire des activités créatrices avec des enfants de tous âges.
— Bon, tu sais quoi? Si on allait dans les Cévennes réaliser notre rêve?

Je regarde cet homme devenu un compagnon cher ces dernières semaines. La relation s’est installée naturellement, nous n’avons encore jamais parlé de nous, jamais pensé à l’avenir. Nous venons de vivre plusieurs semaines agréables, attirés l’un par l’autre, laissant cette attirance être vécue. Nous suivons le flux. C’est la première fois que nous nous projetons dans l’avenir. Je reste silencieuse quelques secondes. Il lève les yeux et me voit songeuse.

— Quoi?
— Rien. Je visualise… Je te regarde. Je ne me suis encore pas posé de questions à ton sujet. On vit un truc sympa, j’aime bien ta compagnie, j’adore ton humour, j’aime notre intimité, tout va magnifiquement bien. Soudain, tu proposes un truc qui ressemble à un engagement à long terme et je m’arrête un moment pour le contempler.
— Eh bien moi, au contraire, ça fait un petit moment que je me dis que la route avec toi est tellement agréable que j’ai bien envie de la continuer et qu’elle ne s’arrête pas.

Il a son sourire plein de dents qui me fait craquer et son regard azur dans lequel je me perds.

— Alors? Qu’est-ce que tu en dis?
— J’en dis que c’est tentant. Mais je pense que si on proposait la chose à Z. et Ana, ce serait encore mieux.
— Oh, mais quelle bonne idée! Ils seraient partants?
— Je suis sûre que oui, mais on n’a qu’à leur demander.

Ana rêve d’ateliers créatifs depuis des années, elle a un lien spécial avec les enfants, et aussi avec les adultes. Tant qu’elle est dans un jet créatif, tout lui réussit. Elle possède une grande force de communication de sa créativité, elle est littéralement contagieuse. Z est un guérisseur dans l’âme. Un alchimiste. Il a un don pour capter les nœuds, il trouve immédiatement la source des maux, et il sait ce qu’il faut faire pour dénouer, pour transformer le mal-être en bien-être.

— Je ne sais pas qui l’inspire, mais il est toujours pile dessus.
— Tu y crois, à l’inspiration, aux guides? Tu ne crois pas que c’est en nous, tout ça?
— Oui, nous sommes des êtres aux talents infinis, j’en suis sûre, mais j’ai de la peine à penser que tout cela nous appartient. Je pense que nous sommes avant tout des antennes. Comme Viviane, je pense que nous sommes avant tout une interface entre la connaissance ou la conscience et la création physique. J’attrape une idée, je la modèle dans la terre, elle devient un pot. Mais peu importe où est la source, non?
— Oui et non, moi je pense que nous sommes des dieux tous puissants, dit-il. Nous pouvons tout.
— Je le pense aussi. Mais je me méfie de penser cela, j’ai toujours très peur que ça vienne taper sur mon ego et qu’il fasse une rechute d’hypertrophie. Tu sais, ça me rappelle un homme que j’ai bien connu. C’était l’époque new age où les channelings florissaient. Ce mec — il s’appelait Jean-Philippe — faisait partie des premiers channels conscients bien inspirés qui recevaient des messages très clairs. Avant cela, il y avait eu la vague des médiums en transe. Lui, il entendait clairement des messages dans sa tête et suivait toutes les instructions au pied de la lettre. Ça venait de tous les grands maîtres, Jésus, Métatron, toute la clique. Ça marchait super fort pour lui, il a fait des séances avec des tas de gens à qui ça a fait beaucoup de bien, il voyageait, il se fait payer cher, bref, tout marchait fantastiquement bien. Les gens gobaient tout sans discernement. Ça venait de l'archange Michael, alors c’était forcément juste et bon.
— C’est vrai, on avait tellement soif de signification et de spiritualité autre que celle, poussiéreuse et étriquée, des religions.
— Jean-Philippe n’a pas échappé à l’orgueil spirituel. Gros piège. Il a reçu quelques prédictions bien à côté de la plaque, notamment autour de 2012, et au bout d’un moment, il a réalisé que c’était bidon. Probablement qu'il n'était connectée qu'avec le bas astral qui est aussi mal peuplé que la planète, soit dit en passant. Il l’a très mal vécu. Il a tout rejeté, le bébé avec l’eau du bain. Anéanti. Humilié. Il a mis des mois à s’en remettre, il ne voulait plus croire en rien.
— C’était encore de l’orgueil.
— Salement blessé, oui. Ça lui a pris tout ce temps pour comprendre que non seulement il avait eu la naïveté de tout croire sans discernement et de se prendre pour un grand gourou élu des dieux, mais que sa réaction était encore de l’ordre de l’orgueil.
— Ben oui, mais il n’était pas le seul dans son cas. Il y en a eu plein comme lui.
— Il ne le voyait pas, les yeux toujours troublés par l’arrogance. Il prétendait à demi-mots qu’il était le seul vrai channel, les autres n’étaient pas aussi bons que lui. Il ne le disait jamais en ces termes, bien sûr. Forcément, selon la loi immuable de l'attraction, il a attiré des gens élitistes comme lui qui ne voulaient entendre de messages que de Dieu lui-même. Sauf que le jour où il en a eu fini avec cela et qu’il a accepté d’ouvrir les yeux, il s’est senti humilié. Au bout d'un moment, il a magnifiquement transformé. Il a considéré sa naïveté comme de la candeur, il a reconnu le bien qu’il a pu faire et il a demandé pardon pour le mal qu’il considérait avoir fait. Pour ma part, je reste convaincue qu’il y avait accord et donc complicité entre les uns et les autres. Quand l’adepte est prêt, le gourou arrive.
— Ah je l’aime bien celle-là! Une variante de: «Quand l’élève est prêt, le maître arrive».
— Ça lui a pris plus de temps pour retrouver confiance en lui, en revanche. Il a pataugé un moment en fermant la porte à toute forme d’inspiration. Ça l’a paralysé pendant pas de temps. Et puis un beau jour, il a décidé d’avancer sans maître extérieur. Il a repris ses outils et a recommencé à dispenser des soins. Il faut dire qu’il y était obligé, il avait tout perdu, il était à deux doigts de se retrouver à la rue, c'était avant le revenu de base inconditionnel. Il a repris des techniques simples, yoga, massage, magnétisme. Petit à petit, il a retrouvé de l’assurance, tout en conservant la belle humilité que cette cuisante leçon lui avait enseigné. Ça lui a donné une force incroyable. Il passait tout au filtre de son discernement, faisait des choix conscients et en prenait toutes les responsabilités.

Il est onze heures, Ana et Z nous rejoignent sous les canisses, devant la cuisine.

— Hello! Vous tombez bien, Arnaud a un truc à vous proposer, dis-je.










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