Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 23 janvier 2015

Jour 59

LE RÊVE


Je poursuis la genèse du RBI:

— Avec le temps et plusieurs rendez-vous ratés, — le passage de l’an 2000, le 21 décembre 2012, sans compter tous les débarquements extraterrestres manqués —, après bien des déceptions, on a fini par comprendre qu’il fallait qu’on y mette du nôtre. Alors petit à petit, on a pris nos rênes en main, et on a commencé à faire de l’ordre. On se passait le mot sur les réseaux sociaux. Au début, tout le monde se méfiait et très peu de gens suivaient, mais comme la situation s’aggravait, on a fini par se mettre d’accord. Ça a démarré avec les flash-mobs qui ont changé d’ambiance. D’événements purement ludiques comme une bataille d’oreiller sur la place du Trocadéro, on a commencé à faire des réunions avec des bonnets d’âne devant les administrations. C’était à la fois drôle et percutant, on passait des messages précis. Dans le même temps, on s’est mis à boycotter les produits non éthiques. Quand, par exemple, on a boycotté en masse — des centaines de milliers de gens —  pendant trois jours une boisson au cola non indispensable à notre survie, on a été effaré par le résultat. Le premier jour déjà, le non-écoulement du stock habituel a provoqué un gros pétchi un peu partout. Le second jour, c’était la panique, le troisième, la grosse catastrophe; la marque a été submergée par le stock non écoulé. Les répercussions ont été massives, jusqu’aux actions en bourse, mais le meilleur effet de cette flash-mob-là fut qu’on s’est rendu compte de notre pouvoir de masse. Alors là, ce fut le grand réveil et les boycotts ont foisonné.
— Ça s’est toujours bien passé?
— Non, il a eu des abus, bien sûr. Le pouvoir était une chose que nous devions encore apprendre maîtriser, ce fut l’occasion. Le boycott de l’essence, par exemple, n’était pas très malin. Ce n’étaient hélas pas les grands pétroliers qui en ressentaient les effets, mais d’abord les États, puisqu’une grosse partie des revenus de l'essence étaient des taxes, principalement sociales. Donc, ça nous pénalisait nous en premier lieu, y compris par le fait de se priver de déplacements. Cela dit, le message a tout de même été entendu, et les solutions pour un carburant non polluant ont commencé à émerger. Petit à petit, on est devenu intelligent et on a agi là où ça faisait heureusement changer les choses. C’est allé vite. Il y a eu de jolis résultats comme le long boycott massif des marques notoirement connues pour l’esclavage des enfants dans leurs usines. Privées des grosses exportations à l’étranger, elles ont dû revoir très vite leur politique. Ça a redonné un nouvel essor aux marques locales. Et puis le système financier s’est effondré. Les prix à la consommation ont augmenté au point de menacer la survie de la plus grande masse. Alors on a cessé de payer nos impôts et nos charges, on a gardé le peu qu’on avait  pour la nourriture. Ça n’a pas duré longtemps, mais la tension était forte. On a méchamment craint les meurtres pour un morceau de pain, mais là encore, il faut croire qu’on était prêt pour le grand changement, parce qu’une belle solidarité a émergé de tout cela. On venait de se prouver qu’ensemble, on avait une puissance incommensurable, alors on a fait face ensemble. Personne n’a vraiment eu faim, on se débrouillait toujours, mais j’avoue que pendant une courte période — ça a duré deux mois — c’était le chaos comme on ne l’avait encore jamais vu. Il y avait beaucoup de peurs, mais on était arrivé au stade où plus personne n’avait rien à perdre sauf ceux au pouvoir.
— Mais je ne comprends pas ce besoin de pouvoir, dit Jérémy, c’est quoi l’idée?
— Encore une fois, il faut comprendre que la conscience était tellement dense qu’on se sentait petit et étriqué. Alors pour se sentir plus fort, il fallait qu’on ait l’impression d’avoir du pouvoir. Et prendre le pouvoir sur l’autre procure cela: un sentiment de puissance.
— C’est malade!
— Dans le contexte d’aujourd’hui, oui. Mais pas à ce moment-là. On faisait tous de notre mieux. C’était un monde de réaction. Nous avons passé à un monde d’action. C’est toute la différence.
— Donc, le RBI, il est arrivé quand?
— Ah oui, le RBI. Ben là: quand le système s’est effondré. Les grosses huiles administratives ont d’abord économisé sur les salaires des employés, comme d’habitude, et ce fut la goutte d’eau. Certains étant déjà mal payés depuis lurette, ils ont rendu leur tablier. La peur de perdre avait enfin disparu, ils ont refusé de travailler dans ces conditions-là. Les dirigeants, incapables de faire le travail de leurs subalternes, se sont accrochés un moment à leurs prérogatives et leur avoir raison, mais ils ont dû vite renoncer. Certains sont partis la queue entre les jambes, ceux qui sont restés ont enfin écouté les idées novatrices. Il faut dire que l'ouverture de conscience était contagieuse. On pensait enfin différemment. La campagne pour le RBI a enfin été entendue et d’autres idées du même genre qui visaient à redistribuer les richesses ont été mises en place. Il y a eu à ce moment-là un vent de créativité encore jamais vu. C’était enivrant. Une bonne idée après l’autre, des solutions à tout. On se regardait, on se demandait pourquoi on n’avait pas fait tout cela plus tôt.
— Oui, pourquoi?
— Bonne question. Ma théorie, c’est toujours la conscience limitée à la boîte. Tant qu’on était dedans, on ne voyait pas d’autres solutions que des solutions limitées et limitatives. Et puis on est sorti de la boîte. Comment? Pourquoi? Ça, je n’en sais rien. Ce n’était pas une évolution linéaire comme jusque-là, ce fut un saut de quanta. Ce qui l’a provoqué… mystère. On parle d’énergies cosmiques, les vents solaires, peut-être. Plus de lumière physique, réellement, qui nous a apporté plus de lumière psychique. On saura peut-être un jour… En attendant, si vous saviez comme je savoure encore ce changement!
— Oui, ça doit être génial d’avoir connu avant, nous, on ne se rend pas compte, dit songeusement Viviane.
— Et moi, je vous envie de ne pas l’avoir connu, dis-je en souriant. 


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