Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

lundi 12 janvier 2015

Jour 48

LE RÊVE

— On vendait l’art? s’étonne Julien, l’un des plus jeunes de ce petit groupe de lumineux.

Je ne peux m’empêcher de rire. 

— Pire: on le critiquait!
— Comment ça?
— Des gens qui se prétendaient experts se permettaient de décider si une toile, une sculpture, une pièce de poterie, dis-je en désignant nos productions, était belle ou non. Ils en fixaient la cote et son prix dépendait de cette cote. 
— N’importe quoi.
— Oui, mais je viens de l’ancien monde du n’importe quoi, dis-je en souriant.
— Mais tu as quel âge?
— Je ne suis pas si vieille, c’était il n’y a pas si longtemps, mais les choses ont bougé très vite. Je suis toujours étonnée quand je mesure le chemin parcouru en si peu de temps. Ce qui m’épate le plus, c’est que les gens de mon âge, pour la plupart, n’ont pas vu cette accélération des choses. Tous les jours, ils intégraient un peu plus, et ils le normalisaient au fur et à mesure. Dans le négatif, dans un premier temps. Il y a eu le 11 septembre 2001, et cette guerre déclarée au terrorisme. Personne, sur le moment, n’a percuté. Pour la première fois, on déclarait la guerre non pas à des gens avec qui on allait se mesurer, mais à une idée. Don Quichotte et ses moulins à vent, quoi! Le terrorisme n’était plus géo-politique, il était idéologique. Les terroristes étaient partout au monde, un bon moyen de prendre le pouvoir partout. Ce qui a commencé à se faire, mine de rien, avec comme justification la protection du citoyen. En fait, les libertés individuelles des citoyens ont été grignotées jour après jour, tandis qu’ils continuaient à croire que leurs gouvernement œuvraient pour leur bien. Et puis les théories du complot ont émergé. On a commencé à réfléchir, à remettre les choses en question. On nous a fait avaler bien des couleuvres avant que collectivement, nous réagissions enfin. Ce qui fut long, c’est de se faire confiance collectivement. On nous faisait croire insidieusement que les autres étaient tous de gros égoïstes, que jamais on ne pourrait compter sur eux.
— Quoi? s’exclame Julien. Mais comment vous avez pu croire ça? Mais…

Il n’a pas de mots pour exprimer sa surprise. Je bois du petit lait. Je l’ai tellement attendu, ce temps-là où les hommes seraient des humains et voilà que nous y sommes. Un jeune de seize ans est attéré à l’idée d’avancer dans la vie en inidivualiste.

— Mais tout seul, on va vraiment pas loin.
— Je ne te le fais pas dire. Tu en veux une encore meilleure? Jusqu’à il n’y a pas très longtemps, il y avait encore du racisme.
— C’est quoi, ça?
— On rejetait les gens à cause de la couleur de leur peau.

D’abord, il éclate de rire. Et puis il a un hoquet, il plante son regard dans le mien et, s’imprégnant de l’idée, des larmes arrivent dans les siens.

— Mais ça a dû être horrible à vivre, dit-il, débordé de compassion.
— Pour ceux qui l’enduraient, oui. Pour ma part, je n’ai jamais été confrontée directement à cela et j’ai éduqué mes enfants dans le respect de chacun. Je me souviens d’un épisode amusant. Ma fille avait quatre ans quand elle rentre un jour de l’école et m’annonce qu’il y a un nouveau dans sa classe. Elle me dit qu’il s’appelle Achille. Un prénom pas du tout courant qui sentait le calendrier catholique. Les Africains gardaient encore cette tradittion issue des missionnaires catholiques des premiers temps. Ils changeaient les prénoms africains des enfants pour leur donner un nom «chrétien» selon les saints du calendrier. C’est ainsi qu’il y avait des noms aussi délirants que «Epiphanie», de la fête du même nom, ou même «Fête nat.», abbréviation de fête nationale. J’ai eu le sentiment que ce petit Achille était un Africain, et j’ai voulu poser la question à ma fille, mais je voulais la formuler sans qu’elle suggère un racisme quelconque. Je n’arrivais à trouver les bons mots quand elle m’a devancée en disant: «…et puis il est très joli, parce qu’il a la peau toute noire». Et elle a eu un joli geste de caresser son bras. In petto, j’ai jubilé. L’esclavage a été aboli au début du XXe siècle et en quelques décennies, la peau noire est «très jolie».
— C’était la première fois qu’elle voyait un noir? 
— Oui, mais attends, quand moi j’étais à l’école, les étrangers étaient ceux qui venaient d’autres cantons. Alors les autres races, tu imagines… Quand il y en avait un dans le quartier, on savait tout de suite que c’était un enfant adopté. Cela dit, la génération de mes enfants n’était pas encore collectivement sortie du racisme. Les peurs persistaient et dès qu’il y avait un problème de délinquance, de violence, on pointaint du doigt les étrangers. Le chômage était de leur faute, etc.

Ils m’effrayent, ces jeunes, avec leurs grands yeux ronds devant mes propose, j’ai l’impression d’être une extra-terrestre vieille de plusieurs siècles. 

— Pareil pour la technologie. Quand j’étais enfant, la télévision n’existait pas, le téléphone fixe en ébonite était tout juste répandu dans tous les ménages. Ma mère était téléphoniste. Elle travaillait dans un central, recevait les appels et mettait les gens en communication. C’était encore manuel. Son métier a vite disparu, mais c’est pour mesurer la vitesse de l’évolution.


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