Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 16 janvier 2015

Jour 52

LE RÊVE


— Nous, dit Christophe, on vit autrement, c’est sûr. Avec le minimum vital assuré, on ne connaît pas la peur de… je ne sais pas quoi au juste?
— Ne pas avoir le minimum vital engendre une peur de mourir, rien de moins, lui dis-je. Par étapes. D’abord, je ne peux pas payer mes factures, alors on me coupe l’électricité, l’eau, le chauffage. Dans le même temps, je n’ai pas assez pour m’acheter à manger. Alors je jongle entre payer une facture et acheter des pâtes. Je commence à manger mal, je tombe malade, parce que ces angoisses de ne pas pouvoir payer les factures, c’est déprimant. Je me sens coupable de m’acheter à manger plutôt que de payer mon loyer; en même temps, c’est mon estomac qui a la priorité, au bout d’un moment… Les jours passent, parfois une rentrée d’argent soulage la situation. Et puis retour de la dèche, l’estime de moi en prend un sale coup: je suis nulle, je suis incapable de gagner ma vie. Rien que ça: «gagner sa vie», tu te rends du poids de ces mots-là? Si je ne la gagne pas, ça signifie quoi? Je ne peux pas vivre, donc je meurs. Lentement.
— C’est lourd.
— Oui, c’est paralysant, à la longue. La déprime ôte la joie, tue la créativité.
— OK, donc, nous, on ne connaît pas cette drôle de peur de mourir à petit feu. Quoi qu’il arrive, on a de quoi survivre. C’est puissant.
— Je te le confirme. Depuis que cette sécurité existe, je rajeunis, moi!
— Nous, on aime la différence. Ça nous étonne toujours, l’idée de racisme. Pour nous, c’est une différence intéressante. L’autre vient d'un autre monde, on s’intéresse à ce qu’il est, ce qu’il vit, ce qu’il pense. Et puis nous sommes solidaires. Impossible de laisser quelqu’un dans le besoin ou dans la douleur. C’est tellement vite fait d’aider quelqu’un. Je ne sais pas, un truc tout con, quelqu’un qui ne sait pas faire quelque chose, autour de lui, il y a au moins quatre ou cinq personnes qui savent le faire. Alors quelqu’un le fait. Et c’est génial, c’est le résultat qui compte. On s’en fout qui fait quoi, on est content que ce soit fait, c’est tout.
— Mais qu’est-ce qui vous mène dans la vie? Quel est votre but?
— Comment ça?
— Ben nous, c’était avoir une bonne profession qui gagne bien, une belle maison, se marier, faire des enfants, éventuellement voyager…

Ça les fait rire. Ils ne moquent pas, cependant, et j’avoue que de repenser à tout cela me fait rire aussi. Nous l’avons bien laissé derrière nous, l’ancien monde.

— Mais non, ce n’est pas un but, ça, c’est normal. Faire ce qu’on aime faire, avoir du confort… C’est la base, non?
— Oui.

Je souris. Je repose la question:

— Alors, ton but?
— Mais je n’ai pas de but, je me lève le matin et je me demande ce que j’ai envie de faire. Ce qui me plaît, c’est apprendre, découvrir des choses sur moi, me découvrir des talents, alors j’essaye de tout. Par exemple il y a deux mois, j’étais chez un ferronnier. Il faisait surtout des pièces métalliques sur commande pour des constructions, des maisons. Il m’a montré comment façonner des pièces, et je me suis mis à faire des sculptures avec ses déchets métalliques. Je me suis fait un plaisir! J’ai adoré, j’ai été surpris, le métal n’est pas une matière qui m’attirait jusque-là.

Il réfléchit un moment à ma question.

— En fait, je n’ai pas vraiment de but. J’avance là où c’est plaisant. Je rencontre des gens, je passe du temps avec eux, on apprend les uns des autres, c’est ça, la vie, non?
— Oui, c’est ça la vie, dis-je, songeuse, en mesurant une fois de plus le chemin parcouru. Mais d’où vous viennent vos valeurs? D’abord, est-ce que vous en avez?
— Ah oui, je le répète, le respect de l’autre, c’est inné. Faire du mal est inacceptable, c’est une grosse erreur contre soi.
— Ah bon? Contre soi?
— Oui. L’autre est une partie de moi-même, nous sommes tous liés. Quand un autre souffre, je souffre aussi. Je peux être heureux tout seul, mais tant que tous les autres ne sont pas heureux, ce n’est pas vraiment le bonheur. Tu ne crois pas?
— J’en suis convaincue, mais là d’où je viens, ce n’était pas du tout intégré. C’était l’ego qui menait les gens. Certains savaient avancer sans écraser les autres, mais d’autres pensaient que c’était nécessaire pour s’élever au-dessus des autres.
— Mais pour quoi faire ?
— Je ne sais pas, pour se sentir plus fort, j’imagine.
— Plus fort que quoi ?
— Que les autres. Aujourd’hui, ça paraît fou, je te l’accorde. Essaye d’imaginer une société où l’autre est d’abord un ennemi, et non un allié.

Il reste la bouche béé.

— Ah non, je ne peux pas imaginer cela.












Aucun commentaire: