Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

mercredi 14 janvier 2015

Jour 50

LE RÊVE


— Le gouvernement a été au-dessous de tout. Ce n’était pas brillant depuis un moment déjà, mais là, ils n’arrivaient plus à faire illusion.
— Il y avait encore un président ?

Je reste silencieuse deux secondes pendant lesquelles tout d’abord, j’ai l’impression d’avoir cent ans, et ensuite, j’envie le jeune homme qui vient de me la poser. Ne pas savoir ce qu’était cette société décadente, pourrie, dense et puante, quel bonheur ! Je souris.

— Oui, mais ses jours de règne étaient comptés. Devant la navritude de son attitude, pour reprendre un néologisme de son ex-femme, la population a enfin laissé s’exprimer ses tripes. Un jour qu’une fois de plus, il promettait du haut d’une tribune télévisée, de faire baisser le chômage, un citoyen a demandé en hurlant : « Comment ? ». Le président a été désarçonné par le ton de la question. Pas agressif, mais impérieux. Il a répondu : « Mais je vais vous le dire… je vais vous le dire » et puis il a changé de sujet sans transition et surtout sans répondre à la question. Le mec a crié à nouveau : « Comment ? ». Il avait une voix incroyable qui portait et qui passait dans les micros. Ça foutait les frissons même à distance, derrière l’écran télé. Il faut croire qu’on était arrivé à la limite, parce que tout d’un coup, on a physiquement senti le ras-le-bol général. Le président était en train de se scandaliser mollement de cette interruption quand trois mecs se sont avancés et l’ont embarqué, sans réelle agressivité. Il y avait une fontaine à quelques pas, ils l’ont traîné jusque-là et foutu à l’eau. Le service d’ordre n’a pas bronché, ça a étonné tout le monde. Ils en avaient probablement autant marre que tout le monde d’entendre ces affirmations creuses. Il était piteux, le président mouillé. Il s’est mis à pleurnicher, et les gens à rire. Un éclat de rire contagieux qui s’est répandu et qui a duré des jours. On s’est mis à tout tourner en dérision, et puis un mot d’ordre a passé, relayé par les réseaux sociaux : on ne paie plus d’impôts jusqu’à ce qu’on nous écoute.
— Pourquoi vous avez attendu aussi longtemps ?
— Bonne question. Moi, je piaffais depuis des années. Je n’en pouvais plus de ce monde mal foutu, des années que je rêvais d’une « Belle Verte », vous connaissez ce film ?
— Oui, il est vieux.
— Pas mal, oui. Il est sorti en 1996, quand je l’ai vu, j’ai immédiatement pensé que c’était une prémonitoire. Depuis ce moment-là, j’aspirais à un tel changement, tu parles si j’arrivais au bout de ma patience. Alors quand le monde s’est mis à rire, je n’en pouvais plus de rire avec lui. En fait, je suis convaincue que ce rire, c’est les chroniqueurs de Charlie Hebdo qui l’ont initié. Ils sont partis en riant dans l’autre monde, fiers que nous répondions au désir de haine par de l’amour dans un premier temps, et puis par ce rire global.
— Combien de temps, vous n’avez pas payé d’impôts ?
— Tout d’abord, à ma grande surprise, tout le monde a suivi le mouvement. J’étais sciée. Le résultat ne s’est pas fait sentir tout de suite, parce que les impôts étaient surtout collectés en fin d’année, mais les entreprises ont cessé de payer les cotisations, de toutes sortes, on a fermé tous les robinets en quelques semaines. Le gouvernement a réagi et ils ont commencé à arrêter les gens, mais ils riaient. Les prisons, déjà combles, ont très vite été saturées. Les gens ont lâché la peur, ils s’en foutaient d’aller en prison. Ils y allaient ensemble et ils riaient. On lâchait les vannes, on se détendait. Toutes ces années à perdre le sourire parce que la vie était de plus en plus dure, soudainement, c’était le contraire. Quel bonheur et surtout, quelle puissance ! Les flics n’avaient plus du tout envie d’arrêter les gens. Comme il n’y avait plus de place en prison, ils sonnaient chez les gens et les informaient qu’ils étaient arrêtés. On leur offrait l’apéro, on passait un bon moment et eux, ils avaient fait leur job. On a tout laissé tomber, sauf le fun. En peu de temps, le système a été totalement à terre. Les fonctionnaires ont lâché leur poste, certains dans les services sociaux ont distribué l’argent de l’état avant de rendre leur tablier. Ils ont vidé les caisses, ils ont versé des sommes aux plus nécessiteux et sont allés rejoindre la foule dans la rue ; c’était le printemps, on a fait des grillades.
— Il n’y a pas eu de bagarres ?
— Non, on était mûr, collectivement. Je n’avais encore jamais vu une telle cohésion. On était d’accord unanimement sur ce qu’on ne voulait plus. On a mis le système par terre.
— Et après ?
— Mine de rien, on était prêt, là aussi. Il y avait dans l’air depuis quelques décennies déjà des utopies dont tout le monde se moquait, d’ailleurs. Soudainement, ces utopies se sont avérées des solutions esthétiques aux problèmes du jour. À commencer par le revenu de base inconditionnel.
— Qui l’a mis en place ? Qui étaient les décideurs ?
— Les gens du gouvernement ne se sont pas accrochés ?
— Si, mais plus personne ne les écoutait. Les médias sont redevenus libres, ils ne recevaient plus de sous pour les obliger à donner des informations manipulées, alors ils ont recommencé à donner des vraies informations. C’est allé très vite. Ça n’avait jamais été les décideurs qui faisaient le travail, ils ne faisaient tenir la carotte. Dès le moment où les gens ont lâché la peur de perdre leur salaire, ils ont commencé à agir selon leurs désirs profonds et des valeurs vraies. Ils ont repris le pouvoir sur leur vie. On a mis en place le RBI, ça a rassuré ceux qui recommençaient à craindre d’avoir faim après avoir bien ri pendant une grande période. Cette sécurité financière minimum a empêché le retour du chaos. Les gens qui travaillaient la question depuis tout ce temps ont naturellement pris les rênes du projet et l’ont mis en place en quelques jours. On a pu voir, à cette occasion, à quelle vitesse on pouvait changer les choses quand on le voulait. On a été encore plus amers contre nous-mêmes d’avoir cru les bobards des gouvernements successifs qui disaient que les choses prenaient du temps à mettre en place. Il n’a fallu qu’une cinquantaine de personnes et moins d’une semaine pour que le RBI soit versé à tous les citoyens. Une batterie d’informaticiens pour finaliser un logiciel de paiement, une clique de conseiller pour répondre aux questions du public, quelques dépanneurs pour débloquer les cas compliqués, et hop, c’était fait, il a suffi d’utiliser ce qui était déjà en place. Au lieu de collecter des taxes, on a versé de l’argent aux gens.


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