Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

vendredi 13 février 2015

Jour 80

LE RÊVE

— Maman, tu es où?
— Bonjour, Olivier, moi aussi, je suis super contente de t’entendre.

Mon fils au téléphone. Il m’apostrophe comme s’il était dans la pièce d’à côté, alors que ça fait deux semaines que nous ne nous sommes pas donnés de nouvelles. Il partait en Colombie, je me dis qu’il a dû revenir.

— Ouais, pardon, dit-il en rigolant. Jour, ma p’tite Môman, comment tu vas bien?
— Très bien, merci, et toi?
— Très bien aussi, merci. Bon, alors je disais, tu es où, à Malaga, parce qu’on voudrait…
— Ah non, je ne suis plus à Malaga, zut, je n’ai pas eu le temps de t’avertir, mille pardons…

Je lui détaille les événements récents.

— Dans les Cévennes, mais c’est encore mieux! On voulait venir te voir avec Evelyne, pour passer du temps ensemble. On est tous les deux à Genève, on allait prendre l’avion, mais du coup, on va venir en voiture, ça m’arrange, parce que je voulais faire un crochet par Grenoble, j’ai un truc à faire.

Il ne manquait rien à mon bonheur; c’est plus qu’une cerise sur le gâteau, c’est tout un cerisier. Mon fils et ma fille qui s’annonce avec leurs familles pour passer du temps ensemble, voilà qui est pour moi le sommet du Nirvana. Je crois que de savoir qu’il y a un Arnaud dans ma vie a piqué leur curiosité, et quand j’ai parlé du projet de maison, mon fils a été très intéressé. Quand j'ai raccroché, je dis:

— Bon, moi, je marche à trente centimètres du sol, maintenant.
— Pourquoi? demande Arnaud en souriant.
— Mes enfants et leurs familles arrivent après-demain.

Charles et Mathilde me regardent en biais. Je m’interdis tout commentaire intérieur, je m’en fous, je suis heureuse, mes enfants et mes petits-enfants arrivent! 

— Bon, qu’est-ce qu’il y a à faire, aujourd’hui? demandé-je.
— Pablo, Viviane et moi, on va finir le jardin, dit Zee. J’ai défriché une parcelle sur la butte au-dessus, on va l’agrandir. C’est bien de prévoir assez grand, on pourra toujours distribuer le surplus au marché, ça fera de la trésorerie.
— Il y aurait de la peinture à finir dans les chambres du ranch, dit Arnaud.
— Moi, dis-je. J’adore faire la peinture.
— Je fais volontiers avec toi, dit Ana, mais je ne sais pas faire. Tu me montreras.
— Moi, je vais voir l’architecte, annonce Arnaud.
— Un dimanche? s’étonne Charles.
— Ah oui, dans le Réseau, tous les jours sont pareils. 

Charles et Mathilde, ostensiblement démarqués depuis leur arrivée, ne songent pas à s'inclure dans les activités du jour. Ce n'est pas faute de leur avoir ouvert la porte, nous avons clairement donné le message qu'ils étaient les bienvenus à aider. Ils ne bronchent pas, ils attendent peut-être une demande de notre part, que nous ne faisons pas, ce n'est pas ains que ça fonctionne. Dans le Réseau, chacun prend sa place naturellement, et si la leur est sur un transat, c'est parfaitement OK pour tout le monde. Je les sens troublés de ne plus être traités en invités, mais nous ne faisons que mettre en action la théorie que nous leur avons longuement exposée hier. 

Chacun débarrasse sa table et nous vaquons à nos occupations. Viviane est restée un moment avec ses parents, ils semblent avoir une discussion qui se passe bien. 

Il est un peu avant midi quand nous avons fini la peinture d’une chambre, avec Ana, nous décidons d’une pause repas. Je passe devant le jardin potager pour proposer un pique-nique, et je constate que Mathilde aide aux semis pendant Charles, à l’aide d’une bêche, est en train de creuser quelque chose. 

— Vous faite quoi, Charles?
— Je creuse une rigole.
— Il a eu une idée géniale pour un système d’irrigation, dit Zee. Il est en train de concevoir des rigoles qui vont venir arroser toutes les platebandes à partir d’une réserve qu’on peut faire là-haut.
— Woah, c’est ambitieux, vous aurez le temps de tout faire aujourd’hui?
— Non, bien sûr que non. Il faut renforcer les canaux avec du ciment et construire la citerne. Je vous laisserai un schéma avec des cotes, pour pourrez facilement le finir vous-mêmes.
— Merci, Charles, dis-je de tout mon coeur.

Pour une fois, il a l’air normal. Il répond «de rien» avec un vrai sourire, il a laissé son tyran intérieur au vestiaire. Il en devient beau. 

Ça ne dure pas. Après ce que j’ai baptisé pique-nique, un lunch improvisé avec ce qu’il y a dans le frigo, une salade rapidement confectionnée et tout ce qui nous fait envie posé sur la table, Charles déclare qu’ils ont une visite à faire avant de rentrer aux Saintes et qu'ils nous quittent. Nous convenons qu’ils passeront reprendre Viviane à la fin de la semaine, elle promet de donner des nouvelles. On se salue chaleureusement et nous retournons à nos travaux. 

Le soir, je demande à Viviane comment elle se sent. Elle me raconte qu’elle a une une bonne discussion avec ses parents à midi.
— J’étais plus tranquille. De me rendre compte qu’il me fait peur a fait que j’ai moins peur, dit-elle en souriant. J’ai pu dire que si je voulais rester, c’était parce que j’aimais bien l’ambiance, que je m’amusais, ici, alors qu’aux Saintes, il n’y a que leurs amis qui n’ont pas d’enfants. J’ai pu le dire sans chercher à les convaincre, j’ai juste dit que ça me plaisait, basta. Ça a mieux passé, c’est bizarre, hein?
— Pas tellement. Tu étais sûre de toi, calme. Alors que d’habitude, j’imagine que tu flippes comme tu flippais l’autre jour à l’idée de leur téléphoner.
— Ouais, tout le temps. Dès que je veux faire un truc, ils sont pas d’accord. Il me faut des milliards de bonnes raisons pour les convaincre, et il croit toujours que ça cache quelque chose de louche. Genre des partouzes avec des mecs, de l’alcool, de la drogue…
— Et là, comme tu étais calme et sereine, il a senti que c’était cash. Sincère, simple. Il est rassuré.
— Ah ouais, t’as raison. Il faudrait que j’arrive à être tout le temps moi?
— Voilà! Tu as tout compris. 
— Ben ouais, mais des fois je sais pas, je ne suis pas sûre de moi. Je doute tout le temps moi!
— Ben dis-lui ça. Que tu n’es pas sûre de toi, que c’est normal à ton âge, et que ça ne va pas durer. Tu vas évoluer.
— J’ai peur de lui dire ça.
— Dis-lui ça aussi: que tu as peur de lui, des fois. 

Elle n’arrive pas à imaginer cela. 

— Nan, ça va jamais marcher.
— Le but n’est pas que ça marche, car alors tu es aussi dans la manipualtion avec lui, le but, c’est d’être vraie avec lui-même.
— Il va m’écraser.
— Non, ça, c’est ce que tu crois. Il ne peut t’écraser que si tu te laisses faire. Il ne peut être ton bourreau que si tu te poses en victime devant lui. Là où nous pouvons t’aider, c’est à ne plus te poser en victime, mais sans devenir un bourreau à ton tour.
— Cool, dit-elle. En une semaine?
— Il va bien falloir, non? Sinon, il faudrait revenir aux vacances suivantes. 











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