Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

samedi 28 février 2015

Jour 95

LE RÊVE

Adrien a rajeuni de vingt ans. Les gens du Réseau sont très vite venus, attirés par la rrestauration du moulin. Ça s’est fait en quelques semaines et maintenant, ils sont en permanence une quinzaine de personnes à le faire tourner, sous les conseils avisés d’Adrien. La technique ancienne est transmise, de nouvelles méthodes sont appliquées, et ce petit monde respire le bonheur.

Ce soir, Adrien nous parle de son père qui arrive en fin de vie. 

— Il a eu 116 ans le mois dernier, et il est bien fatigué. Il va bien, il n’est pas malade, juste usé, mais il doit se faire opérer d’une carotide bouchée qui empêche le sang d’aller au cerveau. Ça le fait déconner, des fois, il dit n’importe quoi. Il n’a pas peur de l’opération, mais il veut rentrer chez lui juste après l’opération, il a peur de l’hôpital.
— Il vit seul?
— Il est au village, dans sa maison, avec une dame de compagnie, depuis vingt ans, qui l’aide au ménage. Il faisait encore à manger il y a six mois, mais là, il peut plus. ll y a aussi un aide, un infirmer, ou quelque chose, qui vient l’aider pour prendre un bain et… Pauvre vieux. 
— Pourquoi, il souffre?
— Moralement. Il a toujours été tellement autonome. Je vais le voir, bien sûr, mais ce qui lui faudrait vraiment, c’est un prêtre.

Nous nous regardons avec Arnaud. «Le dernier prêtre a été excommunié il y a cinq ans» me glisse-t-il en catimini. J’étouffe mon rire. Adrien nous fait comprendre que son père voudrait parler de son départ. Lui n’arrive pas à parler de ça avec lui et, dans son idée, le prêtre est celui qui saurait l’y préparer.

— Adrien, vous savez que dans le Réseau, il y a les maisons du Retour?
— Ah non, c’est quoi ça?
— Ce sont des maisons de convalescence et de soins palliatifs. Il y a tout le support médical, mais ça ressemble à tout sauf à un hôpital. Les permanents sont des gens dont c’est la vocation d’aider. Ce sont des enroits magnifiques. Très loin des maisons de retraite d’avant qui étaient des mouroirs tristes. Il y a de tous les âges, y compris des enfants. Les parents font un séjour dans ces maisons pour que leurs enfants soient, à un moment de leur enfance, confrontés à la maladie et à la mort qui, après tout, fait partie de la vie, n’est-ce pas? Ça fait une jolie ambiance vivante dans ces maisons qui dédramatise la fin de vie et qui accélèrent les guérisons. Les enfants n’ont ainsi pas peur de la mort, d’autant que parmi les vieux, il y a des simples convalescents qui retournent chez eux une fois rétablis. Il n’y a pas de prêtres, comme vous dites, mais des gens qui accompagnent psychologiquement avec leur sincérité, peu importent leur croyances sur une éventuelle vie après la mort. 
— Bah, mon père voudra jamais y aller.

Norma, qui vient de vivre le départ de sa mère, se met à raconter son expérience. Comme le père d’Adrien, sa mère ne voulait pas partir de chez elle. Un jour, elle a eu un malaise qui a nécessité une hospitalisaiton. C’était un début de pneumonie qui, heureusement traitée à temps, a été vite guérie, mais, affaiblie, sa mère a eu besoin d’une assez longue convalescence. Norma l’a convaincue de rejoindre une maison du Retour en lui expliquant qu’elles s’appellent ainsi parce qu’on y va en attendant de revenir à la maison. Jolie métaphore pour le cas où la maison est ce mystérieux endroit après la mort dont on ne saura exactement ce qu’il est que quand ce sera notre tour.

— Elle y est restée neuf mois pendant lesquels elle déclinait lentement. Ce furent des mois de bonheur pour tous. Les gens étaient adorables. Tendres, chaleureux. Ils venaient lui tenir compagnie, s’intéressaient à elle. Elle racontait sa vie, et je voyais bien que ça lui faisait du bien. Elle faisait une sorte de bilan, elle mesurait son parcours et je crois qu’elle était épatée de tout ce qu’elle avait fait. Tous les jours, elle sortait de sa chambre pour se joindre à la communauté. Je m’y suis installée avec elle, bien sûr, on regardait les enfants jouer et les parents vaquer à leurs activités. Ma mère souriait en permanence. On lui apportait à manger, elle appréciait, et puis elle donnait l’une de ses recette de cuisine dont elle venait de se rappeler à cause d’un parfum dans ce qu’elle venait de manger. J’ai remarqué une chose très étrange, les enfants jouaient et criaient, mais jamais aussi fort que dans d’autres maisons. La seule ambiance comparable est dans les maisons de l’Accueil. On y est à l’essentiel, et l’essentiel est silencieux. Les chambres ont des grandes baies vitrées qui donnent sur l’extérieur où la vie continue. Des gens de tous âges, de la vie, jamais rien de morbide. Quand ma mère n’a plus pu quitter son lit, les gens sont venus la voir. Les enfants lui faisaient un câlin puis s’en retournaient jouer, les ados l’entouraient. Un jour, une jeune fille lui demande d’un air grave si elle a peur de mourir. J’ai bien senti qu’elle parlait de sa peur à elle. Ma mère l’a regardée avec un bon sourire et lui a dit: «maintenant, grâce à vous tous, je n’ai plus peur. Je suis prête». Elles se sont prises la main et sont restées un grand moment ainsi. Moi, je me suis levée sous le prétexte d’aller faire pipi, j’en chialais d’émotion. Elle est morte à dix heures trente un vendredi matin, entourée d’une vingtaine de personnes dans la chambre. Le niveau sonore bassait au fur et à mesure que la vie en elle s’en allait. À la fin, tout le monde se taisait, mais le silence était léger comme une plume. Il n’y avait plus rien à dire, juste à être. C’était beau. Le dernier moment a été magique. Je lui tenais la main, et j’ai soudain eu comme un coup de poing à l’envers dans l’estomac, comme une force extirpée de moi, et non pas un choc que je recevais. J’ai regardé ma mère, elle n’avait pas bougé, mais j’ai su qu’elle venait de quitter son corps. À côté, un petit garçon de trois ans jouait par terre avec une petite voiture et il chantait d’une petit voix cristalline: «pirouette, cacahuète..». Voilà. Tout simple. Une vie achevée sur Terre. Ma mère est partie sur un air de pirouette.

Adrien a la larme à l’oeil tout comme Norma en revivant l’instant. Il demande s’il existe une maison du Départ dans le coin. Un petit coup de clavier ordinateur et nous découvrons qu’il y en a une à vingt kilomètres. Le lendemain, c’est ensemble que nous allons voir son père avec ceux qui ont participé à cette discussion. Nous nous promettons d’aller le voir régulièrement, pour qu’il se familiarise avec cet esprit de communauté. Adrien lui dit qu’il a trouvé une maison où «il sera bien quand il ne pourra plus et où ils pourront être ensemble en attendant son retour».









Aucun commentaire: