Le paradis TERRESTRE... Si on s'y mettait ?

lundi 23 février 2015

Jour 90

LE RÊVE

Adrien est notre voisin le plus proche, à un peu moins de deux kilomètres. Un bonhomme de soixante-douze ans, pétant de santé, qui est déjà venu nous voir plusieurs fois sous des prétextes fallacieux. Je le soupçonne de se sentir seul. A chaque visite, il traîne avec nous, se llivrant un peu plus à chaque fois et s’intéressant à ce qui se passe sur le domaine. Ce matin, il est venu offrir des plants de sauge. Il vante la qualité de la plante qui pousse à foison chez lui. Malgré que nous en ayons déjà au jardin, nous l’acceptons de grand cœur et lui offrons un café, comme à l’accoutumée. Il est différent, ce matin, il semble avoir une pêche inhabituelle, son étrange nostalgie a disparu.

— Le patron est là, demande-t-il au bout d’un moment?
— Arnaud, vous voulez dire? demande Olivier qui a compris ce qu’Adrien veut dire malgré que la notion de patron ou de propriétaire n’existe pas dans le Réseau.
— Oui, m’sieur Arnaud.
— Oui, je crois qu’il est à la taille de pierre.

Nous expliqons à m’sieur Adrien ce que nous sommes en train de faire tout en nous rendant sur le chantier du bassin-jacuzzi. L’ancien admire longuement le travail. Je glisse à Arnaud qu’il voudrait parler au «patron» en souriant. Arnaud joue le jeu.

— Voilà, m’sieur Arnaud, je voudrais vous céder mes terres.

Il explique alors qu’il se sent seul depuis la mort de sa femme il y a deux ans. Il avait songé à aller habiter ailleurs, mais où? Et puis c’est chez lui, ici. Depuis qu’Arnaud est revenu, il voit bien comment ça bouge et c’est pourquoi il veut rassembler les deux domaines et «faire venir la jeunesse aussi au moulin».

— Au moulin, Adrien? Vous avez un moulin?
— Pardi, s’exclame-t-il avec son accent cévenol.

Nous lui expliquons alors qu’Arnaud n’est plus propirétaire du Mas Alacalo, il l’a cédé au Réseau et nous lui donnons des détail sur son fonctionnement.

— L’idée, c’est de rendre la terre à la Terre, vous voyez? Elle n’appartient plus à personne, elle retourne à la planète, nous en sommes les locataires temporaires et nous en prenons soin. 

Adrien hoche la tête d’un air tout à fait approbateur. Nous lui disons qu’il peut, à son tour, céder ses terres au Réseau et devenir co-locataire de l’endroit où il se trouve. Il est vraiment séduit par cette idée, notre voisin. 

— Il est comment, votre moulin, Adrien, il fonctionne?
— Pardi! Mais je ne le fais plus tourner, tout seul… vous pensez…
— Il faut qu’on voie cela. Avec un moulin dans le Réseau, tu parles si vous allez en avoir, de la visite. On va cultiver des céréales et faire de la farine.

Tout un groupe s’est joint à la conversation et chacun y va de son idée et de son enthousiasme. Nous décidons d’aller de ce pas voir ce moulin.

La bâtisse est à l’abandon, mais tout à fait saine. Une magnifique roue à aubes, recouverte de mousse par endroits, trempe dans le courant du Gardon. Il faudra la restaurer, elle est abîmée par endroits. Adrien actionne quelques leviers à l’intérieur du moulin et la roue se met à tourner dans des craquements impressionnants.

— Elle a des courbatures, commente-t-il.

Dedans, le mécanisme se met en action et la grosse pierre se met à tourner lentement dans le bassin de granit. Adrien nous explique où on verse le grain, combien de temps il doit être moulu pour finir par s’écouler en farine. Il nous dit le temps qu’il faut pour faire cent kilos de farine, comment les sacs sont fermés, puis emportés. Il est prêt à transmettre ses connaissance de meunier à qui veut bien les recevoir.

— J’ai de la place dans la maison pour la jeunesse, ajoute-t-il. Il faudrait donner un coup de peinture, mais ils vont bien faire cela, les jeunes, n’est-ce pas?

Les jeunes acquiescent et le vieux rayonne. 

— Vous allez vous refaire une jeunesse, Adrien, avec tous ses jeunes autour de vous, lui dis-je.
— Pardi! répond-il avec de l’eau dans les yeux.

Il n’a pas d’internet chez lui, nous l’emmenons à la Calo pour les formalités d’entrée dans le Réseau. Arnaud télécharge et imprime les documents officiels, et nous les lui expliquons longuement. Il lui dit qu’il peut prendre tout cela chez lui, les lire tranquillement et encore réfléchir. Une fois que ses terres seront cédées, plus moyen de revenir en arrière. Il a eu le temps de réfléchir, il est décidé. Il signe et les confie à Arnaud pour les envoyer.

— Il vous faudra internet, Adrien, vous pensez que vous allez pouvoir vous y mettre?
— Pardi!

Il est drôle, avec son expression. Un mot lui suffit pour dire tant.

— Et puis il y aura bien toujours un jeune pour m’aider quand je ne saurai pas.

Il est effectivement prêt. Il a bien compris le concept, il ne sera plus jamais seul, m’sieur Adrien. De fait, la moitié de ses rides se sont effacées et il dégage une énergie redoublée. 

— On va fêter ça. Venez au mas ce soir, on va faire un banquet, dit l’un des jeunes.
— Adrien, on peut déjà s’installer au moulin? demande un jeune Anglais arrivé ce matin. J’adore cet endroit.
— Pardi! répond Adrien, en chœur avec quatre autres personnes qui charrient gentiment.

Adrien éclate de rire avec eux. Il est heureux et nous aussi, de le voir ainsi épanoui. Il retourne au moulin avec trois garçons et deux filles qui s’y installent illico.

La nouvelle a fait le tour du domaine et un bataillon de marmitons est improvisé à la préparation du banquet. Chacun y va de sa recette, toutes les cuisines sont monopolisées. La table est mise sur la terrasse. 

— On est combien, en ce moment? demande Ana à Evelyne qui travaille sur l’ordinateur.

Un coup d’oeil sur le site qui recense les présences dans les maisons, et elle répond:

— Quarante-deux adultes, sept enfants.

Les gens qui circulent dans le réseau s’annoncent spontanément sur le site. Il n’y a bien sûr aucune obligation, mais très rares sont ceux qui ne le font pas. C’est une question de considération les uns pour les autres. Chacun a un profil sur lequel il met les informations sur lui qu’il désire. Généralement, on met ce qu’on sait faire et ce qu’on aime ou aimerait faire afin faciliter les offres et les demandes de service. Dans le cas où on désire prendre du temps pour soi à ne rien faire, on peut l’afficher sur le profil d’une petite pastille jaune qui indique qu’on est momentanément indisponible. Cette charte de présence permet de jauger l’occupation des maisons et, par exemple, de décider de remettre sa visite à plus tard s’il y a trop de monde à son goût ou, au contraire, de rejoindre une grande communauté selon son humeur. Elle permet également de savoir où sont les gens qu’on connaît et de les contacter via l’internet de la maison si l’on n’a pas leurs coordonnées personnelles.









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